Blaise PASCAL. Pensées sur la religion et sur quelques autres sujets, qui ont esté trouvées après sa mort parmy ses papiers. Rouen : David Berthelin, 1675.
(Quelques commentaires, et citations supplémentaires, se trouvent dans le billet correspondant :
Petits bouts de Pascal.)
"Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous estes à vous mesme."
(III ; 35)
"Il faut sçavoir douter où il faut, assurer où il faut, se soûmettre où il faut. Qui ne fait ainsi n'entend pas la force de la raison."
(V ; 46)
"Je ne me serviray pas pour vous convaincre de son existence, de la foy par laquelle nous la connoissons certainement, ny de toutes les autres preuves que nous en avons, puisque vous ne les voulez pas recevoir. Je ne veux agir avec vous que par vos principes mesmes ; & si je prétends vous faire voir par la manière dont vous raisonnez tous les jours sur les choses de la moindre consequence, de quelle sorte vous devez raisonner en celle-cy, & quel party vous devez prendre dans la décison de cette importante question de l'existence de Dieu. Vous dites donc que nous sommes incapables de connoistre s'il y a un Dieu. Cependant il est certain que Dieu est, ou qu'il n'est pas ; il n'y a point de milieu. Mais de quel côté pancherons-nous ? La raison, dites vous, n'y peut rien déterminer. Il y a un cahos infiny qui nous sépare. Il se joüe un jeu à cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez vous ? Par raison vous ne pouvez assurer ny l'un ny l'autre ; par raison nous ne pouvez nier aucun des deux.
Ne blasmez donc pas de fausseté ceux qui ont fait un choix ; car vous ne sçavez pas s'ils ont tort, & s'ils ont mal choisy. Non, direz vous ; mais je les blasmeray d'avoir fait non ce choix, mais un choix : & celuy qui prend croix, & celuy qui prend pile ont tous deux tort : le juste est de ne point parier.
Oüy ; mais il faut parier, cela n'est pas volontaire ; vous estes embarqué, & ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. Lequel prendrez vous donc ? Pesons le gain & la perte en prenant le party de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez donc qu'il est sans hésiter. Oüy il faut gager."
(VII ; 53-54)
"la pente vers soy est le commencement de tout desordre en guerre, en police, en œconomie, &c."
(IX ; 71)
Les Juifs "ont tant aimé les choses figurantes [= charnelles], & les ont si uniquement attendües qu'ils ont méconnu la réalité quand elle est venüe dans le temps & en la manière prédite."
(X ; 77)
"Cela est admirable de voir les Juifs grands amateurs de choses prédites, & grands ennemis de l'accomplissement, & que cette aversion mesme ait été prédite."
(X ; 77)
"C'est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoins au Messie. Il porte les livres, & les aime, & ne les entend point."
(X ; 86)
L' "avenement de douceurs" de Dieu.
(XVIII ; 131)
"Une épreuve si longue, si continuelle, & si uniforme devroit bien nous convaincre de l'impuissance où nous sommes, d'arriver au bien par nos efforts. Mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence ; et c'est de là que nous attendons que notre espérance ne sera pas deceüe en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais ; l'espérance nous pipe, & de malheur en malheur nous mène jusqu'à la mort qui en est le comble éternel."
(XXI ; 158-159)
"Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les autres dans les curiositez & dans les sciences, les autres dans les voluptez. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes."
(XXI ; 159-160)
"La guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagez en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions, & devenir Dieux. Les autres ont voulu renoncer à la raison, & devenir bestes. Mais ils ne l'ont pû ny les uns ny les autres [...]. Voilà ce que peut l'homme par luy-mesme & par ses propres efforts à l'égard du vray, & du bien."
(XXI ; 161-162)
"Quelle chimere est-ce donc que l'homme ? Quelle nouveauté, quel cahos, quel sujet de contradiction ? Juge de toutes choses, imbecille ver de terre ; dépositaire du vray, amas d'incertitude ; gloire, & rebut de l'univers. S'il se vante, je l'abbaisse ; s'il s'abbaisse, je le vante, & le contredits toüjours, jusqu'à ce qu'il comprenne, qu'il est un monstre incompréhensible."
(XXI ; 164)
La Terre = "canton détourné de la nature", "ce petit cachot, où il se trouve logé".
(XXII ; 166)
"une infinité de mondes" enchâssés, "abysme" où chaque "ciron" contient un "firmament"
(XXII ; 167-168)
"Les choses extrêmes [ = le trop & le trop-peu, le néant & l'infiny] sont pour nous, comme si elles n'étoient pas ; & nous ne sommes point à leur égard. Elles nous échappent, ou nous à elles. Voilà notre estat veritable."
(XXII ; 170)
"L'homme est qu'un roseau penchant [pensant]. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : un evapeur, une goutte d'eau suffit pour le tüer. Mais quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tüe ; parce qu'il sçait qu'il meurt ; & l'avantage que l'univers a sur luy, l'univers n'en sçait rien.
Ainsi toute nostre dignité consiste dans la pensée. C'est de-là qu'il faut nous relever, non de l'espace & de la durée. Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale."
(XXIII ; 174)
"La chose la plus importante à la vie c'est le choix d'un métier. Le hazard en dispose. La coûtume fait les massons, les soldats, les couvreurs."
(XXIV ; 178)
"Peu de chose nous console, parce que peu de chose nous afflige."
(XXIV ; 179)
"Cette maistresse d'erreur que l'on appelle fantaisie & opinion, est d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toûjours."
(XXV ; 183)
"On ne voit presque rien de juste ou d'injuste, qui ne change de qualité, en changeant de climat. Trois degrez d'élévation du Pole renversent tout la Jurisprudence. Un Meridien décide de la vérité, ou peu d'années de possession. Les loix fondamentales changent . Le droit a ses époques. Plaisante justice qu'une riviere ou une montagne borne ! Vérité au deça des Pyrrenées, erreur au delà."
(XXV ; 185)
"Le plus grand Philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut pour marcher à son ordinaire, s'il y a au dessous un precipice, quoyque sa raison le convainque de sa seureté, son imagination prévaudra."
(XXV ; 186)
"Nous avons un autre principe d'erreur, sçavoir les maladies. [...]
Nostre propre interest est encore un merveilleurx instrument pour nous crever agréablement les yeux."
(XXV ; 188)
"La coûtume est une seconde nature, qui détruit la premiere. [...] J'ay bien peur que cette nature ne soit elle mesme qu'une premiere coûtume, comme la coûtume est une seconde nature."
(XXV ; 191)
"C'est l'origine de toutes les occupations tumultuaires des hommes, & de tout ce qu'on appelle divertissement ou passe temps, dans lesquels on n'a en effet pour but que d'y laisser passer le temps, sans le sentir, ou plûtost sans se sentir soy mesme, & d'éviter en perdant cette partie de la vie l'amertume & le dégoust intérieur qui accompagneroit nécessairement l'attention que l'on feroit sur soy mesme durant ce temps-là."
(XXVI ; 193)
"On charge les hommes dès l'enfance du soin de leur honneur, de leurs biens, & mesme du bien & de l'honneur de leurs parens & de leurs amis. On les accable de l'étude des langues, des sciences, des exercices, & des arts. On les charge d'affaires : on leur fait entendre qu'ils ne sçauroient estre heureux, s'ils ne font en sorte par leur industrie & par leur soin, que leur fortune, leur honneur, & mesme la fortune et l'honneur de leurs amis soient en bon estat, & qu'une seule de ces choses qui manque les rend malheureux. Ainsi on leur donne des charges & des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous, une étrange maniére de les rendre heureux. Que pourroit-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Demandez-vous ce qu'on pourroit faire ? Il ne faudroit que leur ôter tous ces soins. Car alors ils verroient, & ils penseroient à eux-mesmes ; & c'est ce qui leur est insupportable. Aussi aprés s'être chargez de tant d'affaires, s'ils ont quelque temps de relâche, ils tâchent encore de le perdre à quelque divertissement qui les occupe tous entiers, & les dérobe à eux-mesmes." (XXVI ; 193-194)
"c'est une des merveilles de la Religion Chrêtienne de réconcilier l'homme avec soy-même, en le réconciliant avec Dieu ; de lui rendre la veuë de soy-mesme supportable ; & de faire que la solitude & le repos soient plus agréables à plusieurs que l'agitation & le commerce des hommes. Aussi n'est-ce pas dans luy mesme qu'elle produit tous ces effets merveilleux. Ce n'est qu'en le portant jusqu'à Dieu, & en le soûtenant dans le sentiment de des miséres, par l'espérance d'une autre vie, qui l'en doit entiérement délivrer.
Mais pour ceux qui n'agissent que par les mouvemens qu'ils trouvent en eux & dans leur nature, il est impossible qu'ils subsistent dans ce repos qui leur donne lieu de se considérer & de se voir, sans estre incontinent attaquez de chagrin & de tristesse. L'homme qui n'aime que soy ne hait rien tant que d'estre seul avec soy. Il ne recherche que pour soy & ne fuit rien tant que soy ; parce que quand il se voit, il ne se voit pas tel qu'il désire, & qu'il trouve en soy-mesme un amas de miséres inévitables, & un vuide de biens réels & solides qu'il est incapable de remplir."
(XXVI ; 196-197)
"En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelque fois ; mais cela me fait souvenir de ma foiblesse, que j'oublie à toute heure ; ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée ; car je ne tends qu'à connoistre mon néant."
(XXVIII ; 248)
"Le cœur a ses raisons, que la raison ne connoist point. [...] C'est le cœur qui sent Dieu, & non la raison. Voilà ce que c'est que la foy parfaite, Dieu sensible au cœur."
(XXVIII ; 255)
"Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger."
(XXVIII ; 260)
"Le moy est haïssable. [...] En un mot le moy a deux qualitez ; il est injuste en soy, en ce qu'il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu'il les veut asservir ; car chaque moy est l'ennemy, & voudroit être le tyran de tous les autres."
(XXIX ; 270-271)
"C'est le combat qui nous plaist, & non pas la victoire. [...] Ainsi dans le jeu ; ainsi dans la recherche de la vérité."
(XXIX ; 275)
"Ce chien est à moy, disoient ces pauvres enfans ; c'est là ma place au soleil : voilà le commencement & l'image de l'usurpation de toute la terre."
(XXXI ; 321)
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