Pour changer un peu, quelques mots au sujet d'un écrivain que j'aime relire, et qui n'a pas grand-chose à voir avec le Japon : Matzneff.
Je ne ferai que copier-coller une revue écrite par nos soins en 2004 — Les demoiselles du Taranne et Vous avez dit métèque ? ont paru depuis —, car peu de choses à rajouter.
Ci-dessus, la première et quatrième de couverture de la première édition de son meilleur roman, Ivre du vin perdu, qu'on a porté avec soi jusqu'à Osaka.
"Je viens de terminer, il y a quelques jours, la lecture des deux Matzneff, Gabriel de son prénom, sortis cette année, à savoir un recueil d'articles (qui, à vrai dire, m'ennuient quelque peu) et un tome de son journal intime, Calamity Gab, qui couvre les années 1985-1986 et a paru chez Gallimard dans la collection "L'Infini" (que dirige un autre de nos agréables consensuels, j'ai nommé Philippe Sollers).
L'on apprend en exergue que ce sera toutefois le dernier tome de cet épais et curieux journal à être publié du vivant de l'auteur (qui doit maintenant approcher les quatre vingtaines d'années). La raison en est simple : il semble que cette fois-ci les avocats de Gallimard se soient bien débrouillés, mais la prochaine parution risquerait d'entraîner la mise au frais de notre homme (alors que cela fait plus de trente ans que ces volumes de journal intime paraissent régulièrement). L'auteur s'en désole : il a toujours exprimé son désir de ne laisser aucun posthume (et il a en cela pleinement raison) ; car comment profiter de ses dernières années, en homme libre des contraintes qui par habitude parsèment vos vies — je veux dire : vos vies rythmées, réglées par horaires, travail et transport —, derrière les barreaux, eh ?
Permettez, au risque de redites ou lieux communs, peut-être, de situer à nouveau la chose.
Qui est Gabriel Matzneff ? Avec une trentaine de livres à son actif, Matzneff est homme qui déchaîne passions (néfastes, s'entend) à chacune de ses parutions. Je ne saurais dire s'il en fut fait écho dans les journaux, que je ne lis (six ou sept ans d'abonnement au Monde ont suffi à m'aviser du grand mal qu'est la presse — reportez-vous aux cris du coeur de Musset à ce propos, qui a place à mon chevet ces temps derniers : c'est toujours la même histoire). Déchaîner contre soi passions de l'opinion, de la presse et des confrères. Pourquoi donc ? C'est que l'homme a commis et s'entête à commettre au moins trois crimes impardonnables à nos temps roides et consensuels : toute sa vie il a aimé les jeunes filles et garçons (disons de douze à dix-huit ans, sans jamais dédaigner conquêtes jusqu'à la trentaine et femmes mariées) ; de sa vie il n'a voulu asservir son temps et voulut en rester maître : il n'a en conséquence jamais pris état (comme on disait) ; toute sa vie il a chié sur l'hypocrisie du monde adulte, sur la sacro-sainte famille, et en particulier sur les mères qui, sous couvert de protéger leurs foibles enfants d'eux-mêmes et des autres, sont jalouses des joies de leur progéniture, et les dépossèdent de leurs choix, amoureux entre autres, pour régenter leur vie à guise (comme il est vrai que l'histoire n'a de semblables exemples de Régence, n'est-ce pas ?).
L'on comprend que de telles vues soient considérées comme pervertrices et malsaines, que leur auteur et tenant méritât la peine de mort si d'aventure elle existait encore (soupirs nostalgiques des bien- et droit-pensants), et qu'en tout cas l'homme soit bien malade, qu'il faille s'en garder et veiller à ce qu'il ne tombe dans les pattes de nos gosses, et qu'il tombe lui-même dans l'oubli et la décrépitude (courage, il n'en a plus pour très longtemps).
Ah, nos temps sont bien tristes. Du reste ce n'est pas nouveau, mais c'est certes de pire en pire (le pire est toujours certain, n'est-ce pas?). Matzneff semble être de mon avis, et il a fait choix de vie en conséquence et goût. Il n'a par ailleurs jamais forcé personne à partager sa couche, quelque âge qu'ils-elles eussent. À douze-quatorze ans (histoire de mise en route personnelle), l'on sait très bien ce que c'est que ce désir qui nous ronge les os, et qu'on ne peut satisfaire (je parle des garçons) parce que nos camarades de collège enjuponnées idolâtrent ou frayent avec nos congénères du lycée. Musset surprend un jour lors qu'en campagne, le récit mutuel des galipettes de garçons de quinze ans... avec des fillettes de huit à dix ans. Qu'on ne vienne me dire que lors les gosses ne savent ce qu'ils font quand ils aiment et qu'on les aime en retour.
En ce qui concerne le chapitre travail en règle, l'on comprend l'envie, la mauvaise foi et l'aigreur de ceux qui tuent leur vie à la gagner. Lors d'une récente soirée mienne, l'on m'a répliqué que la formule était vue, sue, connue. A quoi j'ai répliqué que de toute évidence il n'en était rien, puisque tout le monde ne faisait que cela. Un Ludo m'a seul bienveillamment encouragé à tenir encore dix ans cette résolution qui est aussi mienne, car de toute façon l'humanité ne survivrait pas au-delà, au vu des changements climatiques, nucléaires et idiotiques en cours. Je ferai de mon mieux.
Au chapitre des mères, que dire ? En nous concevant elles savaient qu'elles auraient un jour à couper le cordon (qui du reste fut coupé avant notre première inspiration). Mais ce ne veut pas dire qu'il leur faille repousser ce jour pour elles fatal, au jour le plus lointain possible. Si l'on aime son gosse, on le laisse aller. Ah, mais ce sont vues de père, et vu que le père est de toute façon irresponsable (c'est un homme, voyez-vous), et que de toute façon, c'est bien connu et prouvé par nos plus éminents sociologues, la paternité ça n'existe pas, ce n'est pas comme si l'on se souciait de l'avis des plus avisés d'entre eux (ne généralisons pas : voyez les Thibault pour un bel exemple de père-mère) (de Martin du Gard, je précise pour ceux qui ne lisent). Mais non, société et code civil donnent raison aux femmes, aux chères mamans en déresponsabilisant les petiots : pardonnez-leur et laissez-nous les punir pour nos fautes, car ils ne savent pas ce qu'ils font. Quand je vois nos femmes actives et modernes, à vingt-cinq ans, si semblables à leurs mères, si peu promptes à le reconnaître et si promptes à prendre la mouche à l'entendre — je pense à mes amies, à mes connaissances et à ma soeur —, je fuis à toute jambe : je pourrais bien me prendre à leurs rets si je n'y prends garde. Elles régentent le monde par la couche, leurs enfants par l'affective menace : on coupe le sexe de son homme, puis, tant qu'on peut, celui de ses enfants. C'est un peu comme pour les États-Unis : il y a chasse gardée, et gare à qui tente d'y toucher.
L'on ne saurait trop s'étendre sur ces sujets ; mais il me reste quelques mots à dire et faire partager, et j'ai un peu peur d'ennuyer le lecteur. Matzneff est aussi un écrivain (même si la postérité ne gardera de lui que des bribes malveillamment choisies de sa vie houleuse, m'est avis, et cela sans l'avoir lu). Il a quand même trouvé le temps de nous pondre sept romans, dont deux au moins sont de grands livres : Isaïe réjouis-toi, et Ivre du vin perdu (tous deux originalement aux éditions de la Table Ronde, et plus présentement en Poche). De très beaux romans en vérité, au milieu de l'ambiante sous-littérature écrite en pseudo-français qui peuple les rayons de nos libraires. Pour avoir travaillé un temps dans le milieu du livre (ancien) et pour avoir lu moi-même quelques volumes, je dis que l'on n'a jamais aussi mal lu, et lu de si mauvaises choses, que de nos jours. Au moins au Dix-Neuvième, les pires best-seller étaient des Zola : c'est mauvais, mais c'est déjà ça. Que s'arrache-t-on de nos jours ? Au chef des ventes, à prix presque prohibitifs (c'est du livre ancien, je vous rappelle) : l'ésotérisme, l'érotique, le roman policier. Ne me méprenez pas : il est du bon en tous domaines, mais surtout, surtout du mauvais. Beaucoup de mauvais. Enfin, peu importe : j'en profite, j'en vends, et garde pour moi-même ces gemmes dont plus personne ne veut. (Chiffres à l'appui si d'aucuns les veulent.)
Deux grands romans, donc. Il faut ajouter à cela les dix tomes publiés de son journal intime, dont la suite nous sera livrée, disais-je tantôt, post-mortem. Ils se trouvent, si je ne me trompe, chez La Table Ronde, et chez Gallimard dans la sus-dite collection. J'ai eu quelque mal à me procurer les volumes les plus anciens, qui sont épuisés, et peu courants, mais ça se trouve. Du reste, je n'en sais rien mais je gage qu'une réédition ne saurait tarder, du fait des deux récentes publications, et puisqu'aux dernières nouvelles les maisons d'édition en charge n'ont point fermé boutique. Qu'en dire, de ces milliers de pages ? On en redemande, c'est chose curieuse et importante, c'est témoignage et mise à demi-nu d'une vie pleine, décidée, indécidée, lâche et courageuse — en tout cas peu commune. Et la plume est là, car en plus c'est bien écrit, certes moins poli que les romans de notre homme, mais après tout c'est du vif-argent, de la pellicule instantanée, après tout c'est un journal, tenu comme tout journal, avec plus ou moins de soin, de régularité. Ce sont toutefois pages inestimables en nos temps pudibons et incultes, parce qu'aussi Matzneff est homme — c'est dire : parfois détestable, faible et méchant, mais on ne lui en voudra pas pour cela. Eh. Bon, cessons là.
A côté de ces choses, ne vous dérangez pour ses essais, fors ce joyau qu'est Les Moins de seize ans, et peut-être De la rupture, Le Défi, ainsi que Les passions schismatiques. Deux de ses trois récits (de voyage) — Comme le feu mêlé d'aromates et Le Carnet arabe — sont du tout bon. Restent, m'est avis (je le partage), deux volumes de mauvais poèmes, mais cela doit bien plaire à quelqu'un. Oublions cela, et faites votre choix.
C'est un beau pied de nez que toutes ces pages, à nos sociétés si belles et si parfaites, gonflées d'orgueil et de bon droit, et où nos pitoyables hommes supérieurs se reconnaissent d'un clin d'oeil entendu. Loin de moi la pensée que Matzneff est un sur-homme, mais il a fait son choix, refuse de jouer le jeu, et résiste comme il peut. Je ne demande qu'on m'excuse d'avoir été si long ou si court pour cette petite chronique, mais encourage les propositions de sortie-restau pour ceux qui voudraient en parler plus en avant, car il est encore des choses à dire qui ne soient vaines ; et si l'on ne peut sauver ni changer les gens, à tout le moins peut-on passer d'agréables moments.
Bien à vous !"
Je ne ferai que copier-coller une revue écrite par nos soins en 2004 — Les demoiselles du Taranne et Vous avez dit métèque ? ont paru depuis —, car peu de choses à rajouter.
Ci-dessus, la première et quatrième de couverture de la première édition de son meilleur roman, Ivre du vin perdu, qu'on a porté avec soi jusqu'à Osaka.
"Je viens de terminer, il y a quelques jours, la lecture des deux Matzneff, Gabriel de son prénom, sortis cette année, à savoir un recueil d'articles (qui, à vrai dire, m'ennuient quelque peu) et un tome de son journal intime, Calamity Gab, qui couvre les années 1985-1986 et a paru chez Gallimard dans la collection "L'Infini" (que dirige un autre de nos agréables consensuels, j'ai nommé Philippe Sollers).
L'on apprend en exergue que ce sera toutefois le dernier tome de cet épais et curieux journal à être publié du vivant de l'auteur (qui doit maintenant approcher les quatre vingtaines d'années). La raison en est simple : il semble que cette fois-ci les avocats de Gallimard se soient bien débrouillés, mais la prochaine parution risquerait d'entraîner la mise au frais de notre homme (alors que cela fait plus de trente ans que ces volumes de journal intime paraissent régulièrement). L'auteur s'en désole : il a toujours exprimé son désir de ne laisser aucun posthume (et il a en cela pleinement raison) ; car comment profiter de ses dernières années, en homme libre des contraintes qui par habitude parsèment vos vies — je veux dire : vos vies rythmées, réglées par horaires, travail et transport —, derrière les barreaux, eh ?
Permettez, au risque de redites ou lieux communs, peut-être, de situer à nouveau la chose.
Qui est Gabriel Matzneff ? Avec une trentaine de livres à son actif, Matzneff est homme qui déchaîne passions (néfastes, s'entend) à chacune de ses parutions. Je ne saurais dire s'il en fut fait écho dans les journaux, que je ne lis (six ou sept ans d'abonnement au Monde ont suffi à m'aviser du grand mal qu'est la presse — reportez-vous aux cris du coeur de Musset à ce propos, qui a place à mon chevet ces temps derniers : c'est toujours la même histoire). Déchaîner contre soi passions de l'opinion, de la presse et des confrères. Pourquoi donc ? C'est que l'homme a commis et s'entête à commettre au moins trois crimes impardonnables à nos temps roides et consensuels : toute sa vie il a aimé les jeunes filles et garçons (disons de douze à dix-huit ans, sans jamais dédaigner conquêtes jusqu'à la trentaine et femmes mariées) ; de sa vie il n'a voulu asservir son temps et voulut en rester maître : il n'a en conséquence jamais pris état (comme on disait) ; toute sa vie il a chié sur l'hypocrisie du monde adulte, sur la sacro-sainte famille, et en particulier sur les mères qui, sous couvert de protéger leurs foibles enfants d'eux-mêmes et des autres, sont jalouses des joies de leur progéniture, et les dépossèdent de leurs choix, amoureux entre autres, pour régenter leur vie à guise (comme il est vrai que l'histoire n'a de semblables exemples de Régence, n'est-ce pas ?).
L'on comprend que de telles vues soient considérées comme pervertrices et malsaines, que leur auteur et tenant méritât la peine de mort si d'aventure elle existait encore (soupirs nostalgiques des bien- et droit-pensants), et qu'en tout cas l'homme soit bien malade, qu'il faille s'en garder et veiller à ce qu'il ne tombe dans les pattes de nos gosses, et qu'il tombe lui-même dans l'oubli et la décrépitude (courage, il n'en a plus pour très longtemps).
Ah, nos temps sont bien tristes. Du reste ce n'est pas nouveau, mais c'est certes de pire en pire (le pire est toujours certain, n'est-ce pas?). Matzneff semble être de mon avis, et il a fait choix de vie en conséquence et goût. Il n'a par ailleurs jamais forcé personne à partager sa couche, quelque âge qu'ils-elles eussent. À douze-quatorze ans (histoire de mise en route personnelle), l'on sait très bien ce que c'est que ce désir qui nous ronge les os, et qu'on ne peut satisfaire (je parle des garçons) parce que nos camarades de collège enjuponnées idolâtrent ou frayent avec nos congénères du lycée. Musset surprend un jour lors qu'en campagne, le récit mutuel des galipettes de garçons de quinze ans... avec des fillettes de huit à dix ans. Qu'on ne vienne me dire que lors les gosses ne savent ce qu'ils font quand ils aiment et qu'on les aime en retour.
En ce qui concerne le chapitre travail en règle, l'on comprend l'envie, la mauvaise foi et l'aigreur de ceux qui tuent leur vie à la gagner. Lors d'une récente soirée mienne, l'on m'a répliqué que la formule était vue, sue, connue. A quoi j'ai répliqué que de toute évidence il n'en était rien, puisque tout le monde ne faisait que cela. Un Ludo m'a seul bienveillamment encouragé à tenir encore dix ans cette résolution qui est aussi mienne, car de toute façon l'humanité ne survivrait pas au-delà, au vu des changements climatiques, nucléaires et idiotiques en cours. Je ferai de mon mieux.
Au chapitre des mères, que dire ? En nous concevant elles savaient qu'elles auraient un jour à couper le cordon (qui du reste fut coupé avant notre première inspiration). Mais ce ne veut pas dire qu'il leur faille repousser ce jour pour elles fatal, au jour le plus lointain possible. Si l'on aime son gosse, on le laisse aller. Ah, mais ce sont vues de père, et vu que le père est de toute façon irresponsable (c'est un homme, voyez-vous), et que de toute façon, c'est bien connu et prouvé par nos plus éminents sociologues, la paternité ça n'existe pas, ce n'est pas comme si l'on se souciait de l'avis des plus avisés d'entre eux (ne généralisons pas : voyez les Thibault pour un bel exemple de père-mère) (de Martin du Gard, je précise pour ceux qui ne lisent). Mais non, société et code civil donnent raison aux femmes, aux chères mamans en déresponsabilisant les petiots : pardonnez-leur et laissez-nous les punir pour nos fautes, car ils ne savent pas ce qu'ils font. Quand je vois nos femmes actives et modernes, à vingt-cinq ans, si semblables à leurs mères, si peu promptes à le reconnaître et si promptes à prendre la mouche à l'entendre — je pense à mes amies, à mes connaissances et à ma soeur —, je fuis à toute jambe : je pourrais bien me prendre à leurs rets si je n'y prends garde. Elles régentent le monde par la couche, leurs enfants par l'affective menace : on coupe le sexe de son homme, puis, tant qu'on peut, celui de ses enfants. C'est un peu comme pour les États-Unis : il y a chasse gardée, et gare à qui tente d'y toucher.
L'on ne saurait trop s'étendre sur ces sujets ; mais il me reste quelques mots à dire et faire partager, et j'ai un peu peur d'ennuyer le lecteur. Matzneff est aussi un écrivain (même si la postérité ne gardera de lui que des bribes malveillamment choisies de sa vie houleuse, m'est avis, et cela sans l'avoir lu). Il a quand même trouvé le temps de nous pondre sept romans, dont deux au moins sont de grands livres : Isaïe réjouis-toi, et Ivre du vin perdu (tous deux originalement aux éditions de la Table Ronde, et plus présentement en Poche). De très beaux romans en vérité, au milieu de l'ambiante sous-littérature écrite en pseudo-français qui peuple les rayons de nos libraires. Pour avoir travaillé un temps dans le milieu du livre (ancien) et pour avoir lu moi-même quelques volumes, je dis que l'on n'a jamais aussi mal lu, et lu de si mauvaises choses, que de nos jours. Au moins au Dix-Neuvième, les pires best-seller étaient des Zola : c'est mauvais, mais c'est déjà ça. Que s'arrache-t-on de nos jours ? Au chef des ventes, à prix presque prohibitifs (c'est du livre ancien, je vous rappelle) : l'ésotérisme, l'érotique, le roman policier. Ne me méprenez pas : il est du bon en tous domaines, mais surtout, surtout du mauvais. Beaucoup de mauvais. Enfin, peu importe : j'en profite, j'en vends, et garde pour moi-même ces gemmes dont plus personne ne veut. (Chiffres à l'appui si d'aucuns les veulent.)
Deux grands romans, donc. Il faut ajouter à cela les dix tomes publiés de son journal intime, dont la suite nous sera livrée, disais-je tantôt, post-mortem. Ils se trouvent, si je ne me trompe, chez La Table Ronde, et chez Gallimard dans la sus-dite collection. J'ai eu quelque mal à me procurer les volumes les plus anciens, qui sont épuisés, et peu courants, mais ça se trouve. Du reste, je n'en sais rien mais je gage qu'une réédition ne saurait tarder, du fait des deux récentes publications, et puisqu'aux dernières nouvelles les maisons d'édition en charge n'ont point fermé boutique. Qu'en dire, de ces milliers de pages ? On en redemande, c'est chose curieuse et importante, c'est témoignage et mise à demi-nu d'une vie pleine, décidée, indécidée, lâche et courageuse — en tout cas peu commune. Et la plume est là, car en plus c'est bien écrit, certes moins poli que les romans de notre homme, mais après tout c'est du vif-argent, de la pellicule instantanée, après tout c'est un journal, tenu comme tout journal, avec plus ou moins de soin, de régularité. Ce sont toutefois pages inestimables en nos temps pudibons et incultes, parce qu'aussi Matzneff est homme — c'est dire : parfois détestable, faible et méchant, mais on ne lui en voudra pas pour cela. Eh. Bon, cessons là.
A côté de ces choses, ne vous dérangez pour ses essais, fors ce joyau qu'est Les Moins de seize ans, et peut-être De la rupture, Le Défi, ainsi que Les passions schismatiques. Deux de ses trois récits (de voyage) — Comme le feu mêlé d'aromates et Le Carnet arabe — sont du tout bon. Restent, m'est avis (je le partage), deux volumes de mauvais poèmes, mais cela doit bien plaire à quelqu'un. Oublions cela, et faites votre choix.
C'est un beau pied de nez que toutes ces pages, à nos sociétés si belles et si parfaites, gonflées d'orgueil et de bon droit, et où nos pitoyables hommes supérieurs se reconnaissent d'un clin d'oeil entendu. Loin de moi la pensée que Matzneff est un sur-homme, mais il a fait son choix, refuse de jouer le jeu, et résiste comme il peut. Je ne demande qu'on m'excuse d'avoir été si long ou si court pour cette petite chronique, mais encourage les propositions de sortie-restau pour ceux qui voudraient en parler plus en avant, car il est encore des choses à dire qui ne soient vaines ; et si l'on ne peut sauver ni changer les gens, à tout le moins peut-on passer d'agréables moments.
Bien à vous !"
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