dimanche 22 mars 2009

N (2004), chapitre troisième.


Chapitre troisième,
Où l’on marche,
L’on parle,
Et promet.


Au détour du vieux bar, ils prirent à main gauche, gauche, droite, gauche. N se laissait mener en silence — silence qui ne le dérangeait nullement, puisqu’il ne pensait à rien. Ne pas penser était une chose qui, étonnamment, lui arrivait fréquemment. Ne pas penser. Figurez-vous : rien, juste un vide en votre tête, nulle parole ou idée tournant au fronton : exeunt leitmotiv, et ces indésirables et fixes idées que l’on tente de chasser, sans y parvenir le moins du monde (sans que celui-ci y soit pour quoi que ce fût) : rien, rien, ne reste rien qu’un corps impressionné par ce qui se passe en son tour. N’est-ce pas étrange ? C’était, selon ses dires, l’état normal de N. Nous pourrions à loisir gloser encore, et toujours. Je m’en voudrais toutefois de vous faire perdre le fil de ce semblant d’histoire par cause de mes fâcheux travers. Si vous le voulez bien, reprenons.

Les rues étaient quasi-désertes, et l’on ne croisait que dandies sinistres, et ivrognes. Il est amusant de noter que ce n’est que lors que l’on boit plus que mesure que la lutte contre la gravité — lutte de tous les jours et de chaque instant, pourtant — se fait plus pressante et nécessaire. Que de pas de danse et de pieds jetés, sauts de biches et chassés, en ces funestes occasions ! Amusant, n’est-ce pas ? Quoi qu’il en soit, ni précieux ni saouls, N et son compagnon venaient de couper en son haut la rue C…, lors que l’intrigant personnage prit la parole :

« — Jeune homme, il me faut toutefois vous mettre en garde, et tout à la fois vous instruire, sur ce que vous allez voir ce soir.
— Ah bon ? fit l’autre.
— Oui. Et avant toute chose, vous devez me promettre de jamais — à quiconque et sous quelque prétexte que ce soit — n’en faire écho, car bien évidemment il nous parviendrait, et le cas échéant…
— Soit, soit, fit l’autre.
— Et vous comprendrez bien tôt pourquoi. Autre chose : ne croyez pas que ce dont vous allez être témoin soit un jeu léger de vieillards séniles. C’est tout le contraire, et il n’est jeu plus sérieux — et d’aucuns pas même ne l’appelleraient jeu. (Il émit lors un gloussement mystérieux.) Car il est, disons, conséquemment sans retour. (Bien évidemment, lui seul semblait goûter l’humour de ses dires.) Du reste, vous verrez bien, vous verrez bien ! Nous y voici. »

La rue en face de laquelle notre homme s’était arrêté, était bien entendu étroite et sombre, mais, contre toute attente, il ne s’y engagea pas. Il fouilla dans l’une des poches de son pantalon, poche qui semblait contenir une multitude de choses, à l’ouïe des divers bruits que provoquait ce remue-ménage manuel. Le vieil homme en sortit une immense clef de fer forgée qui décrivait des arabesques compliquées. N le vit se diriger vers le coin de la dite ruelle, et enfourner la clef dans la serrure rouillée d’une imposante porte en bois. N connaissait bien cette intersection : il avait croisé ces rues une bonne centaine de fois. Mais, quelqu’un lui eût-il posé la question, il aurait juré sur son livre le plus cher (c’est dire le poids de sa certitude), que se trouvait à cette même place une épicerie tenue par une bien-nommée Irma. Stoïque à ses heures, N ne montra rien de sa surprise, et se dit juste : Comme quoi tout le monde se trompe.

« Voilà ! », fit le vieux en allongeant considérablement la première syllabe de ce mot qui semblait en comporter trop peu à son goût.

Sans effort, il poussa la porte.

*

Aucun commentaire:

© Nicolas Codron / all rights reserved