dimanche 5 juillet 2009

N (2004), chapitre dix-septième.

Chapitre dix-septième,
Où l’on s’éveille,
En compagnie,
Et parle d’une autre.


« Waah ! »

D’un coup d’œil circulaire et obscurci par le jour, N vit qu’il était dans le train. Un rêve. Ça faisait long-temps. Le corps se remettait du sursaut. N ferma les yeux et passa une main sur son front. Pfff. Il attrapa à tâtons ses lunettes, qu’il avait posées sur ses genoux, les mit en place, et rouvrit les yeux. ??? Une jeune femme se tenait en place et pièce de Dmitriu. Jolie.

« — Je ne voulais pas vous faire peur, lui dit-elle avec un sourire hésitant. Désolée.
— Ah, non, ce n’est rien. Un rêve, voyez-vous. (N ajusta ses lunettes.) D’ailleurs déjà il m’a échappé. Ce ne sera pas encore pour cette fois-ci… Un rêve, voyez-vous.
— J’ai vu, j’ai vu, fit-elle d’un hochement de tête, sérieuse.
— Ah bon ? Quoi donc ?
— C’est… (Un peu gênée.) Votre ami m’a demandé, fort courtoisement d’ailleurs, de veiller sur vous, à ce que vous ne bougiez. Le somnambulisme, ça pourrait être dangereux dans un train, a-t-il ajouté.
— Oui, oui, fit N distraitement. Et où il est maintenant ?
— Ah ça, je ne sais pas. Il a dit qu’il ne serait pas trop long.
— Ah bon. D’accord. (N émergeait.) Bien. »

La demoiselle à nouveau souriait hésitamment.

« — Vous n’avez pas l’air en forme. (Elle jeta un regard dans l’allée.) Vous voulez boire quelque chose ?
— Euh, ça va, je me réveille, mais pourquoi pas. Allons-y, répondit N indifférent.
— Le chariot arrive. (Un temps.) Bonjour, un martini blanc, s’il vous plaît, et… ? demanda-t-elle à N d’un coup d’œil en coin.
— Euh, la même chose, s’il vous plaît.
— Ce sera sûrement en mignonette ! lui fit-elle, comme à part.
— Buticulamicrophile ? bafouilla N.
— Pardon ? fit-elle d’un charmant haussement de sourcil.
— Vous les collectionnez ? expliqua N.
— Non non, je trouve juste ça joli ! fit-elle enjouée.
— Ah.
— Mademoiselle, monsieur ? interrompit le garçon-chariot, qui leur présentait verres, glaçons et liquides embouteillés.
— Merci », firent l’un et l’une, avec un léger delay.

N désencastra de sa gauche une petite table qui vint s’interposer entre nos gens. (Clic.) Cela semblait être suffisament solide et porteur. N posa ses choses dessus. La jeune fille l’imita.

« — C’est plus pratique comme ça ! commenta-t-elle.
— Eh oui », ponctua N.

Il ouvrit sa petite bouteille (Clic.), dont il versa le contenu sirupeux sur les glaçons, qui émirent de petits craquements (Crac. Croc. Crac.). N aimait beaucoup ce bruit. La jeune fille avait quelque difficulté à ouvrir le contenant, mais elle y parvint bien tôt. Elle sourit. Les glaçons craquèrent et tintèrent contre les parois du verre.

N leva les yeux du liquide au visage qui se trouvait en face. Le regard de la jeune fille croisa le sien. N parla.

« — Vous ressemblez beaucoup à une fille que j’ai beaucoup aimée. Je l’aime encore beaucoup d’ailleurs, mais différemment.
— Ça fait beaucoup de beaucoups. Elle… elle n’est plus là ?
— Eh non : elle est partie… Vous avez déjà vécu quelques temps avec quelqu’un ? je veux dire, comme on dit : habité ensemble ?
— Non non, pas encore. Pourquoi ?
— Le jeune fille en question était très facile à vivre. Elle voulait tout faire ou ne pas faire à fin de n’être un poids pour moi. Ah, elle se surveillait beaucoup. Un peu trop, même, si vous voulez mon avis. Je le lui disait souvent — qu’elle ne me pesait pas, je veux dire. Parfois elle disait qu’elle eût préféré être une petite chose discrète qu’on pût emmener partout. Si vous voulez mon avis, c’eût aussi été pour me surveiller ! (Sourire.) Mais elle était naturellement légère à porter. Très enthousiaste, aussi, oui. Les gens comme moi ont besoin de beaucoup de gaîté au tour d’eux, pour ne pas se perdre. Elle m’était très gaie, et cela rendait la vie plus facile. Cela aussi, je lui ai dit. Eh eh, elle l’a pris comme une insulte, au début !
— Ah bon ? (Sourire.) Comment ça ?
— Je ne sais pas, moi. Comme une insulte. C’est elle qui, en premier, m’a fait remarquer à quel point j’étais rude avec les gens, avec elle, surtout.
— Et c’est vrai ?
— Quoi donc ?
— La rudesse ?
— Certes certes ! Je n’en ai peut-être pas l’air comme ça, mais mine de rien, oui. Alors elle est partie.
— Hein ?!
— Non non ! je plaisante. (Sourire d’un gosse de trois ans qui s’amuse.) C’était autre chose. Tenez, je vais vous donner un conseil, de vit à con, je veux dire : de cœur à cœur.
— Pardon ? (Elle rougit un peu : c’était en effet un peu osé.)
— Ah, ne faites pas trop attention à ce que je dis. Mais voilà : ne demandez jamais de demi-sacrifice à un homme.
— Un demi-sacrifice ?
— Oui : vous vous éloigneriez insensiblement de lui.
— Euh, lui de moi, plutôt, non ?
— Non non. En demandant un plein sacrifice, vous le perdrez aussi — lui, fera le pas —, mais au moins il sera à vous. Je veux dire : vous aurez le sentiment qu’il sera tout à vous.
— Et ce ne sera pas le cas ?
— Eh bien, qui sait ? S’appartenir… Je vais vous dire pourquoi elle est partie : souvent je lui disais qu’elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait, qu’elle était libre — libre de moi, s’entend —, que jamais je ne la retiendrais.
— Comme c’est cruel !
— Ah : rude, n’est-ce pas ? (Sourire.) Je sais. Elle me reprochait souvent de ne lui dire jamais ce qu’elle attendait. Mais, dès lors, à chaque fois que je lui disais ce qu’elle voulait entendre, je ne pouvais m’empêcher de la taquiner d’un sourire. Bien sûr, elle le voyait tout de suite. Ah ah ! Et qu’est-ce que je prenais ! Oh, gentîment, mais quand même !
— Vous ne l’aviez pas volé !
— Eh, je savais que vous alliez dire cela. Du reste, peu importe, on ne peut changer les gens à leur place. Chacun son sexe !
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Ah… (Les yeux de N dérivèrent dans l’allée.) …Dmitriu, où étiez-vous passé, mon cher ? »

*

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