lundi 30 novembre 2009

Textes courts : Rapport

RAPPORT.


« Je ne sais ce que vous en pensez, mais je qualifie ce qu’il a fait d’inexcusable.

« Qui l’eût cru ? L’on sait pourtant que le maintien est chose cruciale. Perdre ainsi son sang froid…

« Faire partie d’une société, c’est en accepter les règles, fussent-elles écrites, dites ou tacites. À ceux qui refusent cet ordre bienveillant et désintéressé, restent toujours le dessous des ponts, la vérole, les immondices et ce qu’ils nomment liberté, n’est-ce pas ?

« Je ne suis pas en désaccord avec vous sur ce point : il est vrai que, à sa décharge, il fit preuve d’une politesse extrême quand il fut mis en détention préventive, puis inculpé, faute de preuve qui pût résolûment convaincre les media.

« Il me faut toutefois vous apprendre qu’en tête à tête il n’hésitait pas à stigmatiser cette même société qui nous fait vivre.

« C’est pourquoi je m’étonne qu’il ait pu si longtemps dérober à la vue et au su de tous son vrai visage. Ses voisins et voisines vous ont probablement fait part de l’excellence et de l’agrément de sa conversation et de son comportement envers leurs personnes. Il est indéniable par ailleurs qu’un sourire affable et parfois même charmeur accompagnait chacune de ses rencontres, quelles qu’elles fussent, indiscriminées.

« C’est pourquoi je viens vous trouver, Monsieur l’Agent : je suis la seule personne qu’il côtoyait régulièrement avant qu’il rejoignît votre établissement, et il m’appelait parfois son ami.

« Mais insulter ainsi le tribunal qui lui fit l’honneur de s’abaisser à reconnaître une erreur de jugement qui n’en était pas une lors du procès initial et qui, alors que rien ne l’y obligeait, le rendit à la vie civile après ces six ans qu’il passa volontiers en prison, puis demander en sus un dédommagement gracieux, lequel lui fut refusé, en conséquence de quoi il perdit son sang-froid et commit l’acte que vous savez… C’est inexcusable, et c’est pour cette seule raison que je viens vous apporter les preuves accablantes du double jeu que l’homme dont nous parlons a mené durant toutes ces années, avant même son incarcération.

« Je comprends que vous soyez surpris, Monsieur l’Agent ; mais, avec tous les égards que votre fonction mérite, est-il tout à fait nécessaire de placer un simple témoin tel que moi en garde à vue d’une durée indéterminée ? Je sais mon tort de n’avoir fait rapport de ces faits que j’avais en ma connaissance depuis long ; mais mon ami purgeait lors sa peine, et il n’était pas indispensable que… Oui, je comprends parfaitement et me fie à votre jugement. Me permettrez-vous seulement que j’en avertisse mon épouse et mes enfants ?

« Ah, vous êtes trop bon de daigner vous charger de cette tâche en personne… Les convoquer pour interrogation préventive est-il vraiment nécessaire ? … Non, Monsieur l’Agent, il est bien inutile de me remercier pour les éléments nouveaux dont je vous ai fait part à l’instant… Oui, je suis sûr que vous mènerez diligemment cette enquête. Veuillez seulement me laisser… Attendez un moment, je vous prie… Je vous assure que ma famille n’a aucun lien, lointain ou proche, avec cette affaire en laquelle je suis seul impliqué. Non que j’aie la moindre chose à me reprocher, même si, je le sais parfaitement, j’eusse pu venir à vous plus tôt…

« Puis-je vous demander où vous me menez ? Ce joug est-il bien nécessaire ? Que… ? Non, attendez, je n’ai… »

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