mercredi 25 mai 2011

Textes courts : Habitudes

HABITUDES.


Elle était vieille avant l’âge. Les formes se précisaient ; les murs la rassuraient. Elle avait grandi en ville, et ne connaissait que cela : elle éprouvait une sorte d’indifférence à la vue de la verdure.

À l’exemple des autres autour d’elle, elle pensait et disait qu’un peu de campagne, la fin de semaine venue, faisait du bien : on y respire mieux ; tout y est plus calme.

Bien sûr, cela ne durait guère, car on y trouvait, et l’on y trouve encore, un peu trop d’insectes et de bêtes, qui rampent, qui grouillent, qui volent et vivent. Quand, la nuit, elle ne parvient à trouver le sommeil, les bruits l’inquiètent. On ne sait d’où ils viennent, ni ce qui, ou quoi les fait.

En vérité, elle était soulagée quand, le dimanche soir, ils reprenaient la route vers la capitale. Tout ce qu’on y entend, tout ce qu’on y voit, est connu, familier : les bas-côtés de bitume ; le vrombissement des automobiles ; les mille conversations qui se mêlent, dans la rue ; les voix des voisins, du dessous, du dessus ; les ragots du boulot, l’immeuble d’en face, les sirènes au loin.

Au milieu de tout cela elle se sentait, sinon bien, mieux — question d’habitude. Ces choses qui nous entourent nous deviennent, à force de côtoiement, quelque peu nécessaires.

Le nombre des lieux chargés d’affect diminue. Lui restaient : sa nouvelle « maison », le bureau, l’appartement parental, où elle retournait avec un plaisir certain, le plaisir que procure l’illusion tenace qu’on peut s’en retourner à l’état antérieur des choses, n’avoir plus à décider de rien, que se laisser nourrir, choyer, vivre en enfantine insouciance — un cocon. Cet appartement était pour elle un utérus — c’est chose étrange à s’imaginer, si l’on s’y arrête un temps.

Le décor était là, et ne changerait probablement pas.

Les gens aussi font partie du décor. En ville les occasions, à fin de fidéliser de nouveaux visages, manquent et ne manquent pas ; mais cela importe peu : le cercle avec le temps assemblé se fige.


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