lundi 9 avril 2012

Karl KRAUS : Aphorismes



L'élément que le musicien met en forme est le son, le peintre parle en couleurs. Aussi nul profane honorable, qui ne parle qu'en mots, ne tranchera-t-il de musique et de peinture. L'écrivain met en forme un matériel qui est accessible à tous : le mot. Aussi tout lecteur tranchera-t-il de l'art des mots. Les analphabètes du son et de la couleur sont modestes. Mais les gens qui peuvent lire ne passent pas pour des analphabètes.

Le malheur, c'est que la poésie procède d'un matériel  que la racaille a journellement entre les doigts. C'est pourquoi c'est sans espoir pour la littérature.

La langue est la mère, non la fille, de la pensée.

Une pensée n'est légitime que si on a le sentiment de se surprendre en flagrant délit de plagiat de soi.

La langue serait la mère de la pensée ? Qui ne serait pas le mérite de qui pense ? Oh que si, il doit l'engrosser.

Ô cette main gauche de Midas du journalisme, qui transforme toute pensée étrangère qu'elle touche, en opinion ! Comment réclamer de l'or volé, si le voleur n'a que du cuivre en poche ?


Karl KRAUS, Aphorismes (1001 nuits, 1998).

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