dimanche 19 juillet 2009

N (2004), chapitre dix-neuvième.

Chapitre dix-neuvième,
Où l’arrivée se fait,
Et où N retrouve
Un lieu aimé.


« Rien ne change vraiment. Qui parle de conversion ? La puissance est avant l’acte. Ce qui est, était résolu et dû à être. On ne fait advenir qui ne le veut, qui ne le peut. Il faudrait être aveugle pour mieux voir les cœurs. Qu’on y pense : un beau visage est un fraude et trahison, dans la contemplation duquel on se complaît. L’on s’attache d’abord à face jolie, ensuite au reste, qui peut-être prend le pas, s’il suit. La beauté ne devrait jamais être argument au pardon des fautes, ou excuse aux faiblesses. Cependant… Facétieuse ruse de l’espèce. L’impératif reproductif toujours nous rattrappe. Il faudrait être aveugle. Et puis, sait-on encore entendre, toucher, sentir, en vérité ? Qui qu’il en soit, Boston n’a pas vraiment changé. Rien ne change vraiment. »

N ferma son cahier. Le cahot du bus, qui venait de quitter l’autoroute, s’intensifiait : l’écriture, à mesure, se faisait irrégulière. Oui, pareil et même. Banlieue en carrés de briques, centre composite bigarré. N se remit au défilement des terres.

Dmitriu l’avait laissé, « ainsi qu’ordonné », ticket à la main, prévu de grâce, devant l’abri du bus en direction de Provincetown, en face de l’aéroport — le train avait accosté en bout d’une piste. « Quelques affaires à régler, voyez-vous, puis je vous rejoindrai, jeune homme. » N s’était avec ticket vu remettre un morceau de papier où adresse, une bourse, ainsi qu’une clef. Dmitriu avait lors ôté son couvre-chef, et avait disparu dans le « pouf ! » que l’on connaît. Enfin un peu seul.

L’on n’allait pas tarder à commuter. Le bus était — rien n’a changé — en retard, et l’autre l’attendrait, ce qui rendait l’anxiété et la hâte de certains voyageurs fort superflues. L’habitué sourit toujours, par pitié, malice ou mépris, aux bizarreries des première-fois. Toujours est-il que le relai se fit. Le chauffeur ne connaissait pas vraiment la route : des habitués par moments le guidèrent. De cela aussi ils avaient l’habitude. Le soleil était tombé, et le ciel à la fois sombre et clair.

Neuf heures étaient passé lors que N descendit face à l’hôtel de ville de Wellfleet. Qu’on en dise ce qu’on veut, voyager avec peu ou pas de bagage est très-convénient. Un sac à dos, et par-dessus, tout au plus. L’on amasse et s’encombre déjà bien assez quand on se pose. Si dans l’entre-temps même de la pose l’on ne sait se délester de la matière et des choses qui s’accrochent à nos histoires, quand diable sommes-nous donc légers ? L’on traîne sa maison de lieu en lieu sans trop d’espoir. Les choses vite nous manquent. Ce n’est pas un mal de s’attacher, si l’on sait se défaire. Certes, plus facile à dire qu’etc.

L’air était chaud, sentait un peu le sel. Les néons éclairaient Main Street, presque déserte, car c’est le jour que les touristes l’annexent. Combien de fois N l’avait-il remontée, cette rue ? Quand était-ce, déjà ? Loin et proche.

Le vieux bar est encore ouvert, et ça discute. Du nouveau s’échappent des musiques, électroniques et autres. Les deux établissements, presque, se font face. Agréable sentiment, de retour en lieux connus que l’industrie des hommes pour part et moment épargne. Même gouffre fossile, aussi, entre les Locaux et ces riches New-Yorkais estivaux qui les font vivre. N leva les yeux au ciel où les étoiles s’accrochent, qui virèrent sur Commercial Street. Bon, allons-voir ce que ça donne. Le papier dit quoi déjà ?

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