dimanche 26 juillet 2009

N (2004), chapitre vingtième.

Chapitre vingtimème,
Où l’on trouve,
S’installe,
Et s’en va.


C’était un peu plus loin encore. Les grillons chantaient sous les pas, et les souvenirs suivaient le sens de la marche, comme tournesols. De rares lucioles jouaient à cache-cache parmi les feuilles. La route descendait vers la baie en courbe et pente douce, à main droite. N sortit de sa poche le papier que Dmitriu lui avait remis, et vérifia l’adresse qui s’y trouvait notée. Tiens, c’est la même écriture que sur l’autre. Enfin je crois… Plus qu’une paire de numéros.

Alors qu’il repliait la feuille à fin de se la remettre en poche, N remarqua qu’il y était écrit quelque chose au verso, qui d’évidence n’y était précédemment pas. Eh ? Cela disait :

« Au fait, cher ami, ne vous étonnez point qu’une certaine personne se joigne à vous peut-être : il ne me semble pas que les jolies curieuses vous importunent. J’ai pour vous lancé l’invite. Passez-moi ce caprice.
Bien à vous,
J. »

Ah, l’encre invisible a encore de beaux jours, pensa N, avec un sourire — qui s’agrandit lors qu’apparut au dessous :

« Non, très-cher, du courrier instantané.
Enjoy your stay. »

Ah ah, internet a du souci à se faire ! Bon, cette maison ? Il replia la feuille et la fourra dans une poche.

N fit quelques pas encore et découvrit, au détour d’une haie, le numéro voulu. Un petit chemin de gravier menait à une véranda de bois, où se trouvaient table basse, fauteuils tressés, et coussins. Rakuen. Le jardin, que scindait l’allée, lui parut modestement fleuri. N écarta la porte-moustiquaire et fit tourner la clef dans la serrure. Petite maison, d’une paire de pièces en plain-pied, fors, semblait-il, une chambre à coucher, à laquelle menait un petit escalier. N passa, au fond, dans la cuisine, et fit jouer la porte. L’arrière-jardin s’ouvrait sur un petit ponton, comme le reste, de bois, une volée de marches, et un petit terrain d’herbes et de feuilles, en pente. Le tout s’abîmait dans la baie, non loin de là. Quelques poiriers en égayaient la surface. Là, même la nuit est claire, et l’on y voit mieux qu’en plein jour, puisque la lumière est d’ombre. Joli tout ça.

N s’en retourna au devant, en prenant au passage et hasard des bouteilles de vin qui s’alignaient sur le comptoir de la cuisine, l’une d’elles, ainsi qu’un verre ou deux, et ustensile. Il posa le tout sur la table basse, ses fesses sur un coussin, fit entrer la spirale dans le bouchon, posa la bouteille à terre et tira. Le bruit aimé retentit, et N laissa la chose respirer un temps. Il sortit du sac ses cigarettes et son carnet. Il ouvrit celui-ci, prit une de celles-là, qu’il alluma. Il y eut un crépitement rouge dans la pénombre, et manière de long soupir qu’en fin on laisse à l’air.

Cette nuit dut lui paraître à bien d’autres semblable, qu’il passa non loin de là. Toute en collines, pente sur pente, Wellfleet. Encore quelques coins d’herbe que n’enclosent pas les marques de l’intrépassable propriété, au commencement même des jardins. Quelques portes que l’on ne ferme pas à clef — ou si peu. Car l’on ne s’en éloigne jamais si long temps qu’il faille empêcher la poussière d’entrer. Saint Augustin sous un arbrisseau, verre à portée de main, sans autres bruits que ceux de la nuit, à faire connaissance avec les lucioles, qu’après quelques temps l’on petit-nomme. Vous seriez surpris des noms que les lucioles se donnent entre elles. De brillantes bestioles aux noms de soleils. Il faut juste n’être pas trop émotif : le turn-over est élevé. Il suffit de s’y faire. Agréables, ces compagnes sûres des nuits noires. Durant ces mêmes soirs, elles s’amusaient souvent avec le bout incandescent des cigarettes que N tenait immobiles entre deux lignes. Dommage qu’il en soit de moins en moins, des lucioles. Voyez-vous — c’est N qui me l’a dit (je cite mes sources) —, depuis que l’on ne cesse de clore la terre, elles s’arrangent pour nous fuir, gagner des océans qu’elles n’atteignent. Restent les bords des bois. Oui, cette nuit dut lui paraître à bien d’autres semblable.

N siffla la bouteille, écrivit quelques mots, se leva, et marcha en direction du centre — où le bus l’avait déposé. Les grillons jouaient leur sempiternelle musique à ses côtés.

*

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