dimanche 13 septembre 2009

N (2004), chapitre vingt-septième.


Chapitre vingt-septième,
Où, une fois encore,
L’on boit
Et discute.


Comme à son habitude, N s’était réveillé avant sa compagne de couche. Tostif à la mise en marche, il avait, dans le désordre, bu un bon litre de café, grignoté quelques cas, salué la marée, qui avait rougi, pioché dans la bibliothèque, et lu une paire de livres, entre le jardin de front et le jardin de queue, car il faisait beau. Puis il s’habilla, ne se rasa pas, et marcha jusqu’au drug-store, où il fit quelques achats pour le dîner, car l’homme moderne fait la cuisine.

La demoiselle émergea des draps vers seize heures. Elle rejoignit N dans la véranda, au devant. Il ferma son cahier, ils échangèrent mots sarcastiques et baisers de salut, il se leva pour chercher le nécessaire.

« — Faites-moi plaisir, demanda la jeune fille à N, qui s’en revenait de la cuisine avec, à la main, verres et vin.
— Comment voulez-vous ? fit-il en s’asseyant : vous portez culotte.
— Mais non, pas ainsi.
— Ah, que je vous dise un mot gentil… Vous le savez déjà : je ne dis jamais ce que l’on voudrait m’entendre dire. C’est risques et périls, eh ! (Il versa vin en verres.)
— Bah, faites un essai, dit-elle nonchalamment.
— Eh bien, si je voulais avoir une fille, qu’elle vous ressemblât en tous points.
— Idiot. (Ils trinquèrent.)
— Je vous avais prévenue !
— (Du coin de l’œil :) Vous n’en voulez pas ?
— Pas spécialement. Mais de préférence à un garçon, oui.
— (Haussement de sourcil :) Pourquoi ça ?
— Eh bien, le garçon s’oppose au père. Une chance sur mille que ce soit un type bien !
— (Elle rit.) Vous vous sous-estimez. Et une fille ?
— Ah ah ! la fille adore son père et cherche un homme qui lui ressemble : au moins un avec qui j’aurai peut-être une chance de m’entendre ! (Elle rit de bon cœur à la plaisanterie.) Et vous ?
— Quoi moi ? fit-elle entre deux gorgées ?
— La progéniture, les enfants ?
— Oh, pas pour tout de suite, c’est certain. Si jamais.
— Pourtant une femme ça fait des gamins, non?
— On peut choisir, de nos jours, non ?
— Eh eh, c’est vrai, vous me plaisez.
— C’est heureux !
— Si vous le dites, répondit-il.
— Les enfants, c’est comme une maison, comme un travail, une terre : on devient vite l’esclave de sa chose. Et le créateur s’enchaîne la créature, et a du mal à laisser aller. Vous voyez ce que je veux dire ?
— J’ai des parents, fit-il en reposant son verre.
— Sans compter que je ne suis pas dans une de ces illusions et tours de la nature, de ceux qui pensent qu’avoir quarante ans et pas un bambin, c’est avoir raté sa vie. Cendres, fumées et ombres de la transmission, d’une génération à l’autre, pour ne pas se perdre… Des enfants, à la limite, pour tenir ensemble un couple — mais pas le mien. Les autres peuvent bien faire ce qu’ils veulent.
— Ah ? J’ai longtemps pensé qu’on pouvait changer les gens.
— Ah, vous aussi ?
— Je trouvais ça dommage de voir de belles femmes n’aimer l’amour — le sexe, je veux dire. Ou qui mélangeaient et séparaient tout. Tellement plus de jouissance dans un corps de femme. Enfin, c’est mon avis. C’est le visage d’une femme dans le plaisir qui m’étonne toujours. C’est comme si tout à coup on découvrait une autre face, cachée, touchante, absorbée en soi, comme nue, qui n’a rien à voir avec l’autre, avec les autres. Si vous pouviez vous voir !
— (Elle sourit.) Tant que cela ? Eh bien. Il m’est arrivé d’aimer des femmes, vous savez. J’ai vu. Enfin je crois. Vous n’avez pas tort. Vous devez beaucoup les aimer, en tout cas.
—Je les hais tout autant. Ceci dit sans amour et sans haine.
— Ah, c’est trop compliqué pour moi ! fit-elle d’un rire sonore et clair.
— … (Il écrasa son mégot, et eut l’air de se reprendre.) Mais on s’éloigne, et encore une fois je ne sais plus ce que je disais… Où en étions-nous ?
— Ah, sans importance », fit-elle en avançant son visage vers celui de son voisin.

Le soleil venait de tomber — c’est que l’eau et le feu jamais ne font bon ménage. Tout était rouge et bleu au dessus d’eux, toujours plus sombre.

*

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