dimanche 6 septembre 2009

N (2004), chapitre vingt-sixième.


Chapitre vingt-sixième,
Où l’on découvre
Endroit et envers,
Où l’on se perd et se retrouve.


Jean déjà revenait, chopines en mains. Il avait l’air aux anges. N prit le verre qu’on lui tendait. Jean lui cria :

« — Viens, on va d’abord aller boire ça tranquille. Ça t’va ?
— Ouais, j’préfère, lui cria N en retour.
— Tu vois, j’ai beau aimer la bière, c’est toujours plus pratique d’avoir les mains vides quand tu vas voir les filles : y a de quoi les remplir ! Hin hin !
— … »

Ils mirent quelques temps à trouver une table. (N fut prompt à orienter la quête le plus loin possible des haut-parleurs.) Il y avait foule, mais la salle était immense : l’on y circulait assez bien.

« — À la tienne, mon gars !
— Pareillement.
— Ah… (soupir d’aise)… j’adore c’t endroit !
— Je vois ça, répondit N. Tu lui trouves quoi ?
— Ben je sais pas. La fumée, le noir, les lumières, l’alcool, on est tranquille, un peu tout ça. Et les femmes ! les femmes ! J’adore les femmes ! Regarde-moi ça (geste déictique en direction de la scène, sur laquelle les filles se trémoussaient), si c’est pas beau ! Ho, r’gard’moi ces paires de seins ! Et en plus ici (il se rapprocha comme pour secret), si y en a une qui t’plaît, tu peux aller dans les loggia du fond. (Geste de la tête : porte rose fluo à gauche, où un couple venait de disparaître.) Une ou plusieurs, d’ailleurs ! Faut pas se gêner !
— Eh ben, fit N.
— Ouais, j’adore les femmes. J’ai à peu près tout fait — tu vois ce que je veux dire (sourire entendu et fier, mine de rien) — mais c’est une vraie obsession. J’m’y connais — tout !, tu vois. R’garde-les ! Regard’moi ces culs ! Ah la la ! J’adore les culs — j’adore les culs ! —, j’suis un dieu du pieu, sans m’vanter (air sérieux), et, qu’est-ce que tu veux, j’adore ça, j’peux pas m’en passer.
— Ah bon, moi si.
— D’ailleurs (il n’écoutait pas, et engloutit ce qui restait de sa bière), allez hop, j’y vais, et tiens (il chercha quelque chose dans ses poches, qu’il trouva) : pour t’amuser (il mit dans la main de N une imposante liasse de billets verts) — eh eh, t’es là pour ça après tout ! Burn baby burn !
— Hein ? »

Mais Jean déjà se frayait un chemin à grands coups de moustache, vociférant, en ligne droite, vers (remarqua N) le centre de convergence des regards de la salle. Des centaines de paires d’yeux fixés en un point, sur lequels passent et repassent ces lumières vagabondes, ou de plus moites lueurs.

Jean, déjà accoudé aux pieds des filles, sifflait et criait, attirait, repoussait pour attirer encor, à coups de billets pliés en longueur, tel ou tel corps superbe, et, comme d’autres, incitait par le papier à la découverte des chairs.

N retourna à son verre. Comme à l’habitude en ces lieux bruyants et pleins, il s’ennuyait, mais il avait décidé d’attendre un peu, histoire que l’autre s’amusât, avant de manifester son envie de quitter la place.

Il prit le temps de terminer sa bière, et se leva pour chercher Jean. Il ne le trouva plus au tour de la scène, tourna la tête à main droite, à main gauche, et le vit sans surprise (soupir) entraîner par la porte rose une, deux, non : trois filles à son bras. Inutile de dire qu’elles étaient déjà nues. Les courses sont faites. Et c’est parti pour un tour. Il se mit en quête de son compagnon d’infortune, dans cet enfer de chairs pleines et (mo)roses. On pouvait lire au dessus de la porte, soigneusement écrit en arc de cercle : « Vous qui entrez ici / Abandonnez toute pudeur ». Mauvaise parodie en plus. Ça promet. N entra.

Les murs étaient du même rose qu’à la porte, que maints néons fluorescents éclairaient sans goût. Les loges n’étaient pas vraiment privées : l’on eût dit moultes petites alcôves troglodites, d’où s’échappaient cris, râles, halètements et monosyllabes. N avança à la recherche d’une moustache et catogan calvis. C’était une bonne foire d’exposition : l’on voyait de tout. Ici, timide embrochage, simple sodomie ; là, enculades à la file à hommes-sandwiches, rocambolesques emboîtages qui n’eussent à Sade rien à envier. À l’exemple, cette femme aux longs seins piqués d’épingles, langue en cul, bite en con, qui en branlait deux, suçait un (au vit d’ailleurs fort droit mais tout petit) ; l’enculeur faisit minette à la suceuse en cul, qui, tout à sa feuille de rose, lui caressait les bourses en retour et sus ; le tout, en sueur, poussait des cris plus ou moins rauques, qui parfois prêtaient à rire. N, bien élevé, n’en fit rien, et continua son chemin. Il trouva Jean un peu plus loin, au milieu d’une pause. Une fille s’affairait à revitaliser son vit (pléonasme), qui pendait entre deux doigts ; les deux autres filles s’occupaient, en attendant, juste derrière. Jean fut surpris :

« — Eh bien mon gars, on s’amuse plus ?
— Un coup de fatigue, répondis N : t’en fais pas.
— Tu veux rentrer ? fit-il déçu.
— Si ça te va, mais tu peux m’expédier, et rester là.
— Bon, ben viens là. »

N s’approcha. Jean avait du bide. N prit la main de Jean, qu’il avait collante.

« — Bon, ben faudra qu’on remette ça ! (Le sourire était revenu.) À plus tard mon gars, j’repasserai t’voir !
— C’est ça. Bye. »

Le flou revint, et N se retrouva sur Main Street. C’est à se demander s’il n’a pas fait exprès de m’expédier ailleurs la première fois. Enfin. Tout était redevenu calme.

N prit lentement le chemin du retour. Les chauves-souris faisaient leurs emplettes au tour des lampadaires. Au fond, partout un cimetière. N sifflait, les yeux au ciel, un air joyeux, en comptant les géantes rouges.

*

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