dimanche 4 octobre 2009

N (2004), chapitre trentième.


Chapitre trentième,
Où l’un arrive,
Et où l’autre
S’est fait la belle.


Tout le long du jour une nappe basse et grise avait obscurci le ciel. Il n’avait pas fait plus froid pour autant. Certaines choses sont inévitable, dit-on. C’est fort probable, car l’on ne vit seul en sa bulle. Nos temps sont pleins de lignes mortes ; nos vies, rythmées par elles. Les arrivées et les départs sont de ces moments : ils surviennent, on le sait, un jour ou l’autre. Pareillement, Dmitriu devait, un de ces jours, arriver. Ah, c’est signe à la fois d’arrivée et de départ, n’est-ce pas ? Il arriva un de ces soirs où sur le bord de mer éclate un court orage d’une rare violence. On a lors l’impression que l’océan se déverse sur la terre et la rince de sa poussière. Un grand ménage, en somme. Alors, tout devient noir.

N était assis dans un des fauteuils du salon. Il relisait quelques poèmes de Hégésippe Moreau. Dmitriu passa la moustiquaire et frappa à la porte. « C’est ouvert. » Il entra. N laissa là ses pages. Dmitriu le salua.

« — Eh bien ! quelle tempête, n’est-ce pas ?
— En effet.
— Comment va ?
— Plutôt bien. (Il se leva.) Vous voulez vous sécher ?
— Inutile, voyez-vous. Mais l’attention touche, jeune homme. (Et, en effet, son complet était déjà sec. Pratique. L’autre reprit, demi-sourire en coin :) J’eusse tout aussi bien pu n’être pas trempé in the first place, mais j’aime parfois à prendre une telle douche. C’est plutôt tiède, savez-vous ?
— Oui, je sais. A part ça, comment vont les choses ?
— Ah, j’ai réglé ce qui couramment devait l’être. (Il prit place assise en face de N, qui reprit la sienne.) Plutôt fastidieux — paperasse, en fait — mais quelques moments assez cocasses. (Il sortit et alluma une de ses cigarettes. Pffff.) Voulez-vous que je vous raconte ?
— Avec plaisir, mais un instant : une autre paire d’oreilles aimeraient sûrement avoir vent de vos pérégrinations. Je reviens.
— Eh eh, l’on ne s’ennuie pas en attendant, je vois ! Faites donc, eh eh, je vous en prie. »

N se leva et grimpa à l’étage, laissant là le visiteur. Celui-ci, clope au bec, se leva, lui aussi, inspecta la bâtisse du regard, et se dirigea nonchalament vers la bibliothèque, qu’il atteignit en contournant le siège qu’occupait N. L’on pouvait voir en tangente, à travers la porte de la cuisine, la pluie tomber sur la baie. Des « Mmmh » approbateurs et « Ohh » admiratifs sortaient alternativement de l’homme absorbé dans son parcours. (C’étaient plutôt des grognements pleins d’une incertaine nuance.) L’on entendit les marches craquer sous le pied : N r’apparut.

« — Eh bien ? demanda Dmitriu par-dessus ses lunettes.
— Vous devez l’avoir fait fuir, fit N d’un haussement d’épaules.
— Ah, vous m’en voyez désolé, jeune homme. Mais après tout, tous vont et viennent, viennent et vont, n’est-ce pas ?
— Je sais, je sais, fit-il avec un sourire. Quelque chose avant de repartir ?
— Tenez, vous n’auriez pas, demanda Dmitriu, par hasard, quelque bonne bouteille ? J’aimerais assez reposer mes vieilles guiboles, et gosier, avant que l’on se remette en route.
— C’est ça, pas besoin d’excuse, vous savez… Mais je dois avoir ça. Quelle couleur ?
— Voyons… rouge ?
— Incorrigible ! Ah la la. Ne vous dérangez pas : je reviens de suite. »

Dmitriu reprit place, et fit tomber la cendre de sa cigarette à demi consummée, qui tenait encore à l’incandescent l’on ne sait comment, dans le réceptacle en granit prévu à cet effet. Il expira.

« Ah, les jeunes prennent vraiment tout trop à cœur. L’on croit pouvoir s’endurcir, et d’un tournemain nous revoici un gosse. C’est comme si… »

Le reste se perdit dans sa barbe de trois jours.

*

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