mardi 15 décembre 2009

Textes courts : Rendez-vous

RENDEZ-VOUS.


Je ne saurais dire avec précision ce qui, chez cette personne, me déplut le plus.

C’était peut-être ces grands yeux tristes, aux paupières comme exagérément tirées vers le bas. Ils étaient sans expression aucune, mornes, vides, tristes malgré tout. Je hais les choses qui excitent la pitié, laquelle n’est pas, chez moi, une disposition très-naturelle.

La bouche avait gardé, tout le temps de notre entretien, un sourire figé qui se voulait avenant.

Ces fines lèvres retroussées en un rictus censé exprimer la joie, le contentement ou la satisfaction, découvraient une dentition d’une blancheur innaturelle. Aucune des incisives lors visibles ne se chevauchaient : l’alignement était parfait. La perfection n’est pas humaine. Chose tout aussi étrange, les extrémités des dents étaient toutes exactement nivelées. C’était absurde : l’on eût dit que tout cela eût été tracé au moyen d’une règle, et d’un compas.

La gencive était d’un rouge carmin, vif.

Les joues et les tempes étaient ravagées par une éruption de boutons, lesquels devaient être soumis à un traitement médical intensif, ce qui laissait la peau rouge, inflammée, sèche, et très-poreuse ; mais cela arrive à tout le monde.

Les chevilles, sous de blancs collants, semblaient des troncs noueux.

Les ongles des mains étaient peints.

Je n’en pus supporter davantage, tant tout l’être de cette femme, qui devait avoir trente ans au plus, rayonnait de la pensée qu’elle se trouvait belle.

Je ne pus me résoudre à la toucher, et la tua à coups de chaise — celle-là même qui m’avait été présentée et offerte quand je suis entré, tout à l’heure, dans la pièce où elle m’attendait depuis vingt-huit minutes environ.

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© Nicolas Codron / all rights reserved