mardi 22 décembre 2009

Textes courts : Innocence

INNOCENCE.


Ce n’était pourtant qu’un jeu.

Nous étions censés prétendre, en manière de plaisanterie, qu’il était un monstre difforme. Il avait eu l’idée de se glisser dans un de ces grands sacs de toile brune, lesquels à l’ordinaire contiennent les granulés qui servent de complément alimentaire pour les chevaux. Celui-ci était vide et comme exactement à sa taille : ses pieds seuls demeuraient visibles.

Il avait commencé à pousser des grognements horribles entrecoupés de fous rires à grand’peine maîtrisés. Nous jouâmes le jeu et reculions avec des cris de terreur feinte à mesure que la chose avancait vers nous.

Martin fut le premier à ramasser une pierre et à la lancer en direction de la bête. Celle-ci mima la douleur et fit mine de se mettre en colère, grognant de plus belle.

Nous jetâmes tout ce que nous trouvâmes à portée de main avec une force et une violence sans cesse croissantes.

Portés, sans doute, par l’euphorie du moment, certains eurent l’idée de saisir les outils d’ordinaire utilisés par mon père aux champs, et de s’en servir.

La bête bientôt s’affaissa, mais il était de notre devoir de veiller à ce qu’elle ne se relevât pas, et les coups ne s’arrêtèrent que longtemps après.

Quant nous nous décidâmes à extraire du sac notre camarade, lequel, d’un commun accord des assaillants, avait brillamment rempli son rôle, l’un de nous remarqua que l’innocent déguisement était taché de noir.

Louis était méconnaissable, comme brisé, horriblement mutilé, et mort.

L’un de nous se mit à sangloter, aussitôt suivi par le reste du groupe.

Maman va encore me gronder.

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