lundi 27 octobre 2008

Z — monologue, 2000.
























Z


Voilà : tout est fini.
Ce que je vais faire ?
Est-ce que je le sais,
moi ?
Je dérive, je rame, j’aime
et voilà :
tout est fini.
Comment ça
je le prends mal ?
Il
il faut il ne faut pas
oui non pourquoi
et qui êtes-vous, je vous prie ?
et peu importe.
et qui je suis ?
Qui j’étais —
vous voulez dire.
D’où je viens —
vous voulez dire.
Non vous
non vous dire et vouloir
et vouloir dire
et quoi encore ?
Mais taisez-vous !
Mais si je vous ai entendu
eh quoi que voulez-vous dire ?
Que je me calme ?
Mais elle était encore là
il y a quelques instants
il y a une éternité à peine
je venais des confins
de ces rivages tactiles
et ils sont tous morts
tous
par ma faute par ma main
non pas par ma faute
mais ma main
est encore rouge rouge mais
tout a séché
l’air libre
et les entrailles à l’air libre
à l’air de mer à l’air iodé —
vous savez : le sel —
ça sèche vite
et après vos cheveux
deviennent blancs —
non pas les miens : ils sont gris à présent —
mais c’était il y a longtemps
très longtemps —
non pas si longtemps que cela
c’était
après l’onde, après les rocs
dans cet espace immense et clair
et noir la nuit —
Elle était là encore
il y a quelques instants
mais eux aussi oui
mais ils ne sont plus là
et elle n’est plus là non plus non
et moi aussi —
Quoi ?
Mais si je vous ai entendu !
Taisez-vous taisez-vous donc
Mais non restez restez
La ville la lumière
ses égouts et ses gouffres
sont à tout le monde
ne sont à personne —
Quel jour sommes-nous ?
Ah,
seulement cela
il faudra attendre encore
encore un peu —
Mais attendre qu’ils reviennent, voyons !
Vous suivez vous ne suivez pas ?
Ne
me suivez
pas !
Mais laissez-moi donc !
Elle était là
il y a encore quelques instants
Elles aussi y étaient
elles étaient toutes là
toutes
avant qu’elles ne partent —
Cela ne se voit pas ?
Mais taisez-vous !
Comment ça c’est la pluie ?
Il peuvait aussi
lorsqu’ils ont crevé comme des chiens
crevés dans le caniveau oui
dans le caniveau des dieux
crevés oui comme des chiens
dans la pourpre rigole ah ah
ils n’y pouvaient rien
ils n’ont pas choisi non
Mais moi non plus !
Moi non plus ! Et
pourtant
pourtant elle était là il y a —
tous oui tous et toutes aussi
mais hop voilà volatilisés
voix et vicères pesantes
hommes et femmes
femmes et enfants d’abord
femmes et femmes
femmes et femmes et elle —
(un temps)
Il faisait beau la nuit était belle
les femmes étaient belles nos corps étaient beaux
C’était il y a longtemps si longtemps
pas si longtemps quelques instants à peine
oh de beaux rivages aussi, riches
riches et cernes
c’était au bout du monde
mais pas si loin non
c’était un peu cette ville
un peu un peu trop mais pas assez
des rivages beaux rives d’ennui et de plaisir
nos corps étaient si beaux oh oui sous la lumière
nous sommes nés nous sommes morts
eux sans moi — je suis vivant, non ?
Non ? !
non je suis mort
Elles étaient là pourtant
pourtant
c’était le temps
le temps des dieux
des dieux divins et des océans
des intrépides et des devins
des chemins de terre et des cyclades
du sang des hommes du sexe des femmes
et il faisait si chaud —
je me rappelle —
et l’on se baignait
je n’étais rien encore
et j’étais tout
oui
amniotique pêcheur et bout de chair
pas même une larve : un fruit d’amour
je ne voulais pas sortir
j’ai vu — je voyais cette ville et ses histoires
et mon histoire et qu’y pouvais-je ?
Ils sont venus des mers ils venaient des airs
Ils sont venus
et avec eux leurs marteaux et leurs glaives
les lances et les casques
leurs chevaux ailés et leurs cris de guerre
je ne voulais pas mais qu’y pouvais-je ?
Ils étaient grands ils étaient forts tous solitaires
des hommes et des femmes
guerriers, guerrières je ne voulais pas
Ils ont tué ma mère
ils ont ouvert son ventre et elle hurlait encore
ils mon tiré par le pied
ils m’ont jeté contre une pierre
ils riaient ils riaient — je m’en souviens
ils m’ont jeté dans la poussière
et j’étais si petit
et j’étais rouge rouge de colère
et je criais je criais oui
ils ont souillé ils ont volé les morts
ils ont tué mes frères
je ne voulais pas mais qu’y pouvais-je ?
j’étais fatigué fatigué
oh fatigué
Et j’étais né
amouramor
en mon berceau de sable avec
pour seul sein cette terre de sel
terre au goût de mer
et je voulais leurs têtes
je voulais leur mort
je le voulais si fort que j’ai vécu
oui je suis né non dans l’effort
mais dans la mort et la misère
et j’ai tété ma mère vengeance
jusqu’à leur mort leur mort
je ne voulais pas je ne voulais pas
ils ont poussé la roue ils ont rompu la chaine
j’ai vu la ville et ses histoires sans noms
et mon histoire stellaire mais qu’y pouvais-je ?
qu’y pouvais-je ?
(un temps)
Ah comme j’aurais voulu comme j’aurais voulu
que tout se fût passé ainsi
Mais non non non ils sont revenus
ils ne sont même pas partis non
ils m’ont vu, les magnifiques
ils ont vu que je bougeais que je criais
ils ont vu que je ne voulais périr
Alors
alors ils m’ont pris
Ils m’ont pris, les magnifiques !
Ah ils n’auraient pas dû
Ils auraient dû
ils auraient dû me laisser
moi la charogne
Ils auraient dû mais ne l’ont pas fait
Ils m’ont pris les magnifiques
ils m’ont pris et m’ont emmené
Le dieux m’ont
pris
et m’ont donné une lionne pour mère
et un serpent et un aigle pour frères
oui littéralement
et ma mère fut une lionne
et mes frères furent un serpent et un aigle
Eux oui m’aimèrent
comme on aime un fils
comme on aime un frère
Ils étaient là, tout simplement
et moi je n’oubliais pas
non.
Puis ils me laissèrent
en cette douce
heure animale
Ils me laissèrent et ils partirent,
les magnifiques.
Et moi je n’oubliais pas, vous savez.
Je n’oublierai pas.
(un temps)
Non,
je n’ai pas oublié.
C’était demain ce sera hier
oui ce jour attendu —
Mais je m’égare
c’est difficile parfois
de s’y retrouver :
tous ces sentiers sentis, connus et sus —
c’est parfois difficile
de s’y retrouver
lorsque l’on lit à livre ouvert
dans le livre des fleuves
dans le fleuve des siècles.
(un temps)
J’ai donc grandi loin des hommes —
vous m’entendez ? —
loin des feux de leurs villages,
au tour desquels les femmes dansent le soir.
J’ai aussi grandi loin des femmes
ah oui
je n’avais alors connu
qu’une femme
celle qui m’a porté
j’ai crû en elle
j’ai puisé en elle pour vivre
c’était ainsi
elle me laissait faire
elle me parlait parfois
en ces irréelles aurores folles
et je l’aimais oui je l’aimais
elle disait m’attendre
elle me façonnait maints futurs
elle me donnait maints noms doux et divers
elle me caressait se caressant
je sentais la pression de ses doigts
à travers le derme de son ventre
je sentais tout ce qu’elle ressentais,
ces inquiétudes, euphories,
peurs, angoisses, amours et encore —
Elle était toute entière ma douce cuirasse
de chaleur et d’eau
lointaine et pourtant tellement
tellement proche
insaisissable interstice
j’étais en elle
j’étais elle —
comprenez-vous ?
Il n’est de lien plus pur
que celui de la chair
chaude chair
on touche on frotte
car c’est ainsi
substance une et indivise
un même corps et deux êtres
un même lien
tout
et rien
que physique —
physique !
Ah il est heureux
celui qui n’est pas né.
Oui je me souviens
de
chaque
instant.
La seule femme que j’ai connue
la seule femme que j’ai aimée
ainsi.
Et je ne connaissais pas même
son nom
et ne veux pas le connaître.
J’ai tous ces échos en moi —
les autres n’ont qu’un nom
ils n’ont qu’un nom.
(un temps)
Mais je m’égare
une fois encore.
Oui
imaginez-vous :
de hautes montagnes échancrent le ciel
un ciel d’air léger, gelé
ce même air qui décape
ces mêmes montagnes
et ceux-là mêmes qui y vivent.
Et j’y vivais
et l’on devient fort
en ces montagnes hostiles au voyageur
oui j’ai grandi en haut d’un
de ces orientaux rocs
dont je ne voulais connaître les noms
ils étaient simplement
ma maison.
Rien que moi
et la bestiale compagnie
de ma feinte famille —
car c’étaient eux ma famille.
La lionne ma mère était
si tendre avec cet enfant qu’elle élevait comme le sien,
féroce avec le guerrier qu’elle formait…
Ma lionne…
L’aigle mon frère m’apprit à voler et à voir
et me réchauffait quand ma mère
chassait toute la nuit durant
pour nous
pour moi elle chassait oui.
Le serpent mon frère m’apprit le silence
et la sinueuse approche
il m’apprit à demeurer immobile
pendant des heures pendant des jours
il m’apprit à se faire pierre
aussi dur et froid que pierre
si froid —
Ah oui c’étaient eux ma famille
et je les aimais oui
et ensemble ils m’apprirent
la langue des couleurs
la langue des formes
la langue de toutes choses en cette terre
entre ciel et ciel —
ils étaient ma famille
libres oui
et je les aimais.
Les hommes jamais
ne furent pour moi
une famille
oh mais Celle qui —
Ah mais je m’égare
une fois encore :
ce sera pour bien tôt.
(un temps)
Un jour,
je décidai
que je voulais voir le monde,
voyager :
j’étais guerrier impitoyable
et mon corps était une arme
mais
mais j’étais encore
un enfant
et curieux
j’étais curieux
curieux de savoir
ce que cachaient les montagnes en leur tour
au-delà de leur chaine
je voulais savoir
d’autres aurores et d’autres soirs.
Alors ce jour
je quittai ma montagne
et ma grottesque maisonnée
pour d’autres terres,
sans rien dire.
Ce fut —
je peux à présent le dire —
mon premier déclin vers les hommes.
(un temps)
Il me fallut marcher longtemps
pour me trouver enfin en leur marge :
un petit village.
Ce village
sur lequel j’étais, par hasard,
tombé en mon désastre,
était
au bord de l’eau
en bord de mer :
il comptait
commerces
pêcheurs de poissons
et tisseuses de maints filets.
J’y entrai
et passai inaperçu car,
comme je devais l’apprendre
au fil de mon sentier,
les ports sont lieux de passage.
Je passais, inaperçu.
Et,
au premier regard,
tout me parut folie.
Folie
que cette folie de bruits et beuveries
que ce chaos que ces mouvements inutiles
folie futile que ces stupides dépenses
et ces jeux de corps sans fruits !
J’étais terrifié —
pourtant ce n’était qu’un village petit !
Mais c’était un port
oui un port
un port — un passage.
Et à ce moment même
je sus que j’aimais les ports.
Ah ah étonnant, non ?
Vous ne trouvez pas ?
Oui j’aime les ports
comme j’aime les villes.
Passer ! passer !
Ne faire que cela !
L’on ne fait que cela !
Tout le monde pasee
et l’on va
et l’on vient
de passade
en passade
en passade !
Passes d’armes
passes de marchands
passes de femmes
passes d’enfant !
Passes de pêches
d’un homme à l’autre !
Passes coupe-gorges !
Passes passes passes !
Passes encore !
Et pourtant ce n’était
qu’un petit village.
Je n’y suis pas resté non
je n’ai rencontré personne
je n’ai fait qu’observer
observer un temps.
Je n’ai rencontré personne
et pourtant tout le monde se bousculait
on eût dit qu’il fourmillait de vie
et pourtant ce n’était
qu’un village petit !
J’y ai entrevu la folie des hommes
la folie de la masse qui grouille
et j’ai tenté de fouiller
le tréfonds des cœurs
et je n’ai vu
que des masses solitaires.
Et pourtant ce n’était
qu’un petit village oui.
Je n’y suis pas resté
je suis parti
au crépuscule du troisième jour.
(un temps)
Vous savez,
j’ai toujours aimé toujours préféré
voyager la nuit oui.
La nuit et son silence
m’ont fait poète —
Non !
Mais non.
Les femmes seules
ce sont ces femmes
qui m’ont fait poète.
(un temps)
Laissez-moi
laissez-moi
vous raconter encore.
Les années passent vite, vous savez,
de port en port.
La vie y est facile
si l’on se contente de peu.
Il y a toujours à manger
il est toujours du travail
en ces pyrées multicolores
aux odeurs saures
aux gorges exquises.
Au fil du fil,
je me liais avec quelques hommes
puis m’en déliais
et je couchais avec des putains
car j’étais devenu homme moi aussi
le corps croît vite quand on marche
et les mers d’oubli que j’ai traversées
ont effacé la mémoire d’avant-hier
et m’ont appris la langue des hommes.
L’on oublie vite, vous savez :
c’est nécessaire.
J’ai appris la langue des hommes
et je me suis fondu en leur masse —
cette même masse dont je parlais tantôt
et je devenais comme ces marins vagabonds :
cœur solitaire entouré de pairs,
cherchant un peu de chaleur
dans le leurre des bordels
en la suspension
d’entre deux rivages.
(un temps)
En un de ces jours mornes
où la pluie entre
et coule dans les veines
et où les membres sont
lourds d’avoir erré,
j’entrai dans une taverne
et demandai une chambre.
Mais
quelque chose me retint
un peu plus tard,
moi qui avait déjà tant veillé.
Et je m’assis
à une table
et commandai
à boire.
Car l’on chantait.
Ce quelque chose,
c’était une femme,
les yeux sombres
et la chair noire
qui chantait
au coin du bar.
J’avais fermé les yeux
et restais sourd
aux accostages.
J’avais fermé les yeux
et n’écoutais qu’elle.
Ah je ne saurais
vous tracer sa voix
mais elle apaisa de son grain
la sourde colère qui grondait en moi
elle fit taire ma soif d’esquifs
et je restais là,
à l’écouter.
(un temps)
Lorsqu’elle se tut
j’ouvris les yeux
il était tard.
Quelques soudards
gisaient de sous les bancs,
de sus les tables.
Le monde dormait.
J’ouvrais les yeux
elle me fixait.
Elle vint s’asseoir
à mon côté
et je lui contai
mon histoire.
Elle me conta la sienne
elle venait d’Abyssie
ancienne esclave
ancienne catin
qui à présent
s’était attachée
à ce bar
y attachant sa voix.
Elle me parla
d’autres rives
des intérieurs vifs
de vastes plaines
et d’autres hommes
des artifices
de la beauté
des autres femmes
de l’envie
et vanité
Je lui dis
ce que j’étais
Nous parlâmes nous parlâmes
de choses mille et autres
Nous parlâmes oui
parfois par de longs silences
tellement les mots se pressaient
en nos gorges
en nos oreilles.
Le matin vint
elle me laissa
elle était fatiguée,
me disait-elle.
Nous nous saluâmes
d’un sourire
et battement de paupières.
Je restais là,
comme dans un rêve —
non pas un de ces cauchemars
qui m’éveillaient de fièvre
mais une trace douce —
presqu’une caresse.
Je retrouvais mon passé
dans ses plus minces détails,
je me souvenais de mes amis —
de ma famille,
là-bas,
dans la montagne.
Je me souvenais de cette nuit
de cette fille d’ébène
de cette femme d’étoile
et je pleurai
alors que de nouveau
la taverne
s’emplissait de monde.
Oui je pleurais.
Incroyable, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui encore —
pourtant ces siècles —
(un temps)
Et le soir,
lorsqu’elle revint
j’étais encore
j’étais toujours là
et je sortis de moi-même
alors que sa voix de nouveau
emplissait la salle
tel un parfum subreptice,
touchant chaque un
en leurs châsses de planches rongées pas le sel,
jusqu’au plus profond de leurs âmes —
tous se taisèrent ce soir
et écoutèrent
ce long chant d’amour
qui grandissait dans le silence
et je sentis
et je sus
qu’elle ne chantait
que pour moi.
(un temps)
Il n’y eut pas
de ces habituelles rixes
non, ce soir-là
non, mais sa voix seule se fixa
dans les cœurs —
et l’oubli —
oui, en place des coutelas.
(un temps)
Il était tard
il était tard ce soir-là
lors qu’elle se tut —
s’approcha de moi —
prit ma main —
et me mena en sa couche.
Et nous fîmes l’amour jusqu’à l’aurore
oh oui
l’amour en chœur
l’amour encore
souffle à souffle
d’un grain de voix
pour combler
combler ces vides
qui vivaient en nous
ils nous auraient tués —
oui
oui je le sais —
nous avons fait l’amour
nous l’avons fait
de tous nos corps
encore
c’était il y a si longtemps
temps si proche pourtant
je me souviens encore
de tous ses gestes
de sa peau noire
de ses paupières
du sourire
de ses épaules
de nos lèvres
nos corps en sueurs
de ses seins menus aussi
qui vivaient en mes mains
de sa croupe mouvante
son sexe chaud
de ses mains — d’elle
et ses caresses
que guidaient nos désirs
et le plaisir
c’était
folle cavalcade
sans fin enlacés
sans cesse en cette nuit
comme si
ce dût être la dernière.
Ah
je me souviens
(un temps)
comme si
ce dût être la dernière.
Mais il y en eût
bien d’autres.
Oui chaque soir
nous nous retrouvions
pour un autre chant
pour nous chercher
pour nous fouiller encore
doucement
toujours plus doucement
c’est le mouvement
de toutes les choses
que l’on aime
toujours plus fort
ah
cette danse infinie de nos corps
ces moments où vie et néant vacillent
et où toutes choses dansent aussi
en notre tour —
(un temps)
Ces moments prirent fin, un jour,
comme prennent fin
presque toutes choses :
par la mort.
Elle se fit égorger un soir
en un coin sombre
pour quelques pièces.
Ah
lorsque je la vis
après l’avoir cherchée —
tout
tout ce qui existait pour moi
mon jardin ce monde
éclata en éclats de chair
en caillots de sang
en morceaux de verre —
et ma colère ma fureur ancienne
surgit de ses entrailles
me prit à la gorge
saigna mon cerveau
signa mon corps
de son sceau de fer
et je sus
et je sus
qu’à présent entre mes mains
je tenais les clés de la destruction
que l’humain chaos en cette terre
ne prendrait jamais fin —
je crus devenir fou —
peut-être l’étais-je.
Et je sentis
la vengeance rouge
me ceindre
ceindre mes lèvres
et je maudis
je maudis les hommes
et leurs rêves de gloire
rêves de poussière
je les maudis
je les ai maudits oui
(un temps)
Je ne savais pas même son nom
ni elle le mien
mais cela alors
n’importait pas
mais alors
alors
plus rien
ne m’importait
sauf —
(un temps)
Alors
alors —
je me mis à errer
à errer
en la recherche improbable
des divins celés dieux de la terre
à errer
parmi les eaux parmi les hommes
travers rives et forêts villes déserts
moi
le nombreux et solitaire
ne cherchant
nulle échappe ni taverne
ne fuyant ni
ne voulant
hommes ou bêtes
choses à gré ou petits dons pour un seul pain
haillons pour seule chappe —
peu de choses suffisent
au sustenteur de rien sustenteur de rêves —
je marchais au pas
des mots absents de ma tête
(certains rêvent comme d’autres écrivent
et je parle de pluie
alors que d’autres oublient la terre)
je marchais oui
oubliant m’oubliant au gré des soirs
que mon corps se souvienne et non ma tête.
(un temps)
J’ai long-temps marché
combien de temps je ne saurais dire
quelques jours ou quelques siècles
peu m’importe je marchais
j’ai marché
tant que mon cœur tonnait
tant que —
(sourire) (un temps)
Un jour —
oui c’était lumière — un jour
je me suis arrêté
sur les bords d’un lac
car ma gorge était sèche
et mes mains par trop noires.
Je me suis agenouillé et penché
dans l’herbe rivale
pour cueillir l’eau à la bouche
et aperçus mon reflet —
ce n’était pas moi
ce n’était pas
mon visage —
c’était ondoyante
la face sombre et claire
de ma mère
qui suivait mes mouvements
et je riais elle riait avec moi
et j’en pleurais de joie
et mes larmes troublaient mes yeux
je savais bien
que je ne pouvais la toucher
mais je tendai les bras.
Le reflet se troubla
et le visage de ma mère devint
un casque de fer
luisant au soleil d’éclats
de rouge d’éclats de guerre
de vengeance de sang et de lumière —
et
frappé par un funeste pressentiment —
non — je
savais très bien
ce que cachais ce masque —je
portai les mains à mon visage
pour ôter cette muraille —
et sous ce casque un bel enfant riait.
(un temps)
Puis les traits se confondirent
par le jeu de l’onde dérivés
en ceux d’un fauve un léopard
cruel animal défait qui ne cessait de rire
de sa bouche carnassière aveugle scellée
de bris de verre vissés de noir et d’ocre —
et comme j’ouvrais sans le vouloir
la bouche pour crier ce qui ronge
la gueule noire subrepticement se fit rose
rose noire qui s’ouvrait
qui ouvrait ses pétales d’ébène
cuisses et lèvres
avec une infinie lenteur.
(un temps)
Elle était terrible et magnifique
vision de cauchemar et de rêve
elle embaumait comme une chair
elle belle comme la mort
comme piège ou couche
où jouir et se perdre
douce amère comme maint remord
facile comme —
(un temps)
ah
déjà fleur et presque femme
vous savez peut-être
l’amour la mort dans l’âme
et la chair entre la chair
mais je m’égare —
cette fleur et chose donc —
alors
alors je m’éveillai une nouvelle fois ce jour
comme si
d’une torpeur d’un rêve d’un voyage
je me retrouvais
face au reflet je crois le mien
ces autres à leur place en ma tête
et
fatigué
je m’endormis dans l’herbe.
(un temps)
Je m’éveillai il faisait noir
sable et terre en ma bouche
enserré de toute part
par ce noir en mon tour
et terreur
et colère
j’ai crié un cri
inouï
et mon cercueil de sable vola dans l’éther
mon cercueil —
non je vis je vivais
mais je ne pouvais croire
ce que voyaient mes yeux —
un océan de sable étendue de lumière
mes yeux me faisaient mal
combien de temps dura mon reste
je ne sais
forêt hier ce jour désert
je me levai
mes os craquèrent
comme du bois sec sous la marche —
rien
que sable et règne de dunes
et cette lumière trop blanche —
je ne savais plus
le sens de la marche
pourquoi ces pas ce lieu et quelle rive —
je —
un éclair vert lors de sous le sable
là près de ma cheville —
une douleur aiguë pénétra ma tête —
un vertige d’une seconde…

« Tu gaspilles ta frêle salive en vain,
Être de poussière. »

Le serpent — c’en était un —
bien sûr m’entendit
mais ne me comprit pas.
J’écrasai le sinueux de mon talon
et — un nouveau
vertige —
et tout me revînt
ma famille d’autres
et le reste que
cette brindille rappela.
Où étaient-ils tous
où étais-je et quand —
je murmurai son nom.
(un temps)
Je remis ma marche en route
poussé par je ne sais quoi.
(un temps)


[inachevé]

(2000)

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