dimanche 17 mai 2009

N (2004), chapitre dixième.

Chapitre dixième,
Où, sans raison,
L’on pause et parle,
En prétexte, de peinture.


Il arrivait parfois à N de peindre. Il en était pour la peinture comme pour tout le reste : l’envie le saisit, le prend, d’un coup de reins, une envie folle de pâtés de couleurs.

Caprice de gosse, dira-t-on : si l’on veut — chose du corps. Bien sûr, tout n’est pas si simple, et prenait différentes formes. Il lui arrivait, par exemple, de voir tout à coup en sa tête, un motif, une scène, un dégradé, un décolleté, chose nue. Il tentait lors de les rendre au papier, car jamais forme ne se fixe hors le support : le trait à la feuille est dû. N a cela pour lui qu’il dessine décemment : dans ces instants, il ouvre un carnet et, muni d’un stylo-plume, pose, à réussite variable, ces idées d’images qui lui trottaient tantôt en tête. Ensuite, si, et seulement si, l’envie première était assez forte — car les envies varient, vous le savez, en intensité —, N poursuivait le travail, sur une toile ou, car tout coûte cher, sur un pan de carton ennappé, où il replaçait le dessin au crayon, pour après quoi entourer ses lignes d’acrylique. Par contre, si d’aventure l’envie était passade — de l’humeur cela aussi dépend —, N arrêtait la chose à son ébauche de papier, mais lors le devenir-tableau de l’esquisse était plus qu’incertain, et maintes en effet demeuraient en l’état, même s’il lui arrivait parfois d’en repêcher certaines, après quelque séjour prolongé dans ce carnet où nombre étaient oubliées.

N utilisait l’acrylique par fainéantise. Non : je plaisante — pour une part. N avait commencé la peinture comme le reste : comme cela — pourquoi pas ? Comment cela : comme cela ? Oh, pour faire court — car je ne souhaite accabler la lectrice, le lecteur, et ceux qui préfèrent quatre mains à deux, de détails inutiles —, N avait logé un temps chez un couple de vieux peintres, lors qu’il restaurait aux États-Unis, sous soleil et sur sable. L’anniversaire d’une manière de jeune amie locale, approchait et, comme à son habitude, N n’avait pas la moindre idée de présent pour l’occasion. Ses hôtes la lui fournirent, ainsi qu’une toile. Il se procura par entremise plusieurs pots de peinture et pinceaux, puis s’attela à la tâche. Ainsi naquit une grande femme blanche, aux cheveux de flammes bleues et à la toge sang de rouge, qui ne ceignait que ses reins, et qui semblait se perdre dans le sol de sable qui l’entourait. Au-devant, d’un côté un livre, bleu lui aussi, gisait dos au ciel ; de l’autre, à main gauche, le touffu du feuillage d’un bosquet laissait apparaître le chat d’Alice. Au tour, une arche de roses qui, s’abreuvant à la robe, passent de rouge à blanc à mesure qu’elles s’élèvent. Au fond, une forteresse de sable. A l’horizon, minuscule, le Petit Prince, au côté de ruines de quelque siècle révolu. Voilà comme en somme tout a débuté.

Qu’est-ce qui fit, que N continua à peindre, une fois rentré ? Nous l’avons dit : il en est pour cela comme pour toute chose.

« Bah, ça m’amuse. »,

défendait-il contre tous — car comment croire qu’il n’y ait que cela ? On a tellement l’habitude de mettre du sens en tous sens… Passons. Par-là, il faut toutefois entendre une certaine nuance : la Distraction. Il fallait que N se distrayât pour rester en vie. C’est peut-être aller un peu loin, mais ce n’est que manière de paraphrase :

« Comment faire avec cette grande tristesse
au cœur et tenace elle qui toujours s’esquisse
elle sourd de sous la terre il faut l’aimer l’aimer
et la distraire occuper son corps pour la faire
taire et béni des dieux ce qui ne pense pas
et œuvre la nuit à l’éveil comble et de sable
fait car la mer bien tôt viendra raser ses pas. »

Je m’en voudrais de rendre plus confus encore ce relat épars. Je suis (du verbe : suivre) N en ce point, que l’écrit est à la fois discipline et école. Aussi, revenons à nos chèvres : N peignait pour se distraire. Par ailleurs, N ne connaissait rien à la peinture — techniquement parlant. C’est peut-être pour cela, m’est avis, qu’il s’amusait tant : il découvrait la chose — ces couleurs côte à côte, l’une en l’autre, près ou loin — les étaler, empâter, fondre de mille manières.

Dans ces moments, aussi, N, collé à la toile, pinceau dans une main, cigarette dans l’autre, dit, en réponse, ne penser à rien. C’est peut-être cela qu’il appelle « distraction » : une manière de pensée non-réflexive. L’on peut ergoter sur les mots de cette définition lacunaire et supputative, mais dût-elle ne dire qu’une chose, ce serait celle-ci : le corps bouge, pas la tête.

Pour ses sujets, N avait une prédilection certaine pour les femmes, et les paysages. Cela ne l’empêchait d’ailleurs pas, de mêler les deux — et un corps, n’est-ce pas manière de paysage ? Il en tapissait, à l’excès, ses murs, faisant de ce fait sienne, cette semi-boutade, d’un illustre peintre, que N avait lue quelque part sans savoir où :

« Je peins pour avoir sur mes murs
les toiles que j’aime. »

Bref, N peignait des corps de femmes et de terres. Habillés et nus.

N ne peinds plus guère. Qui sait si cela aussi passera ?

Revenons à nos chèvres.

*

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