dimanche 24 mai 2009

N (2004), chapitre onzième.

Chapitre onzième,
Où, avec le réveil,
Viennent pli
Et plume.


N ouvrit les yeux. Le soleil perçait les rideaux rouges entre-tirés. Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il pût être, et, au fond, ce n’était pas important. Son cou lui faisait mal. Cela lui arrivait à chaque fois, peu ou prou, qu’il passait la nuit (ou le jour, d’ailleurs) dans son fauteuil, mais il récidivait, car il aimait ça. Non forcément les maux qui en résultaient, mais ce simple fait de dormir là. N avait ainsi, parfois, des envies de somme en fauteuil, comme l’on a des envies de sorbet, de restaurant japonais, ou de sexe. C’était comme si son fauteuil l’appelait, et il en sortait toujours quelque peu tordu, cassé, mais jamais rancunier.

Il se redressa du fond de la chose, et posa, ses coudes sur ses genoux, sa mâchoire au creux de ses paumes. N n’aimait pas vraiment la bouche pâteuse de ces réveils et matins. (Il ne respirait que rarement par le nez, pour cause de male formation de la cavité de ce dernier, ce qui asséchait l’orifice qui le remplaçait.) Il soupira longuement, puis se leva, tout courbaturé.

Il fit lors ce qu’il fait à l’habitude : du café. Au moment même où il appuyait sur le bouton qui lance la machine, la sonnette de la porte d’entrée se fit entendre. Allons bon. La transformation, miraculeuse pour certains, de l’eau froide en café chaud n’ayant besoin de nul intermédiaire, alchimiste ou sauveur, N la laissa là, livrée à elle-même, et alla ouvrir. Un homme en veston de velour et faux-col se tenait là, en l’embrasure, le visage anémotif et une lettre à la main.

« — Bon jour, fit N.
— Bon jour à vous, répondit l’autre. Monsieur N ? ajouta-t-il d’un haussement de sourcil droit et interrogateur.
— C’est moi.
— L’on m’a chargé de vous remettre ceci. (Il lui tendit l’enveloppe ce disant.)
— Merci, fit N en prenant le papier. Je signe où ?
— Nulle part, monsieur, nulle part. Ma tâche se bornait à m’assurer que ce pli vous parvînt. Je vous souhaite une bonne journée encore.
— Eh bien pareillement. »

L’homme s’en retourna d’où il venait, et d’ailleurs peut-être pas — Dieu seul le sait, du moins espérons-le, et espérons que le gaillard savait où lui-même allait. Ses talons claquèrent un temps sur le parquet du couloir. N ferma la porte, lança le-dit pli, d’un mouvement sec du poignet, qui le fit tounoyer sur lui-même et atterrir sur la table basse du salon, et alla se verser un mug de café. À chacun ses priorités.

N revint, avec le breuvage, s’asseoir sur son fauteuil, face à l’enveloppe qui venait de lui être remise. Il avait matière à être positivement content et d’agréable retour, car il ne recevait, pour ainsi dire, nulle épistole. Un caractère, seul, trônait sur la façade couleur crème. « N », y était-il écrit, d’un trait de plume sûr et gracile. Main d’homme, se dit N, qui ouvrit la chose et vit qu’il se trompait. Pour une fois.

Il lut la lettre, cigarette entre bouche et main, puis se leva, alla dans sa salle de bains (salle d’eau, en fait, car l’on y trouvait qu’une douche) (N n’aime pas les bains) quérir son déodorant, à fin de celer un temps les odeurs animales de la nuit, enfila son manteau — long et noir, usé aussi, son manteau —, prit ses clefs, et sortit.

Cinq minutes et trente-trois secondes plus tard, il était de retour en son lieu. Rien n’avait changé. N’étaient que poussière et silence, qu’à peine troublaient ses quelques pas, la lointaine rumeur de la rue, et le cliquetis de la cafetière encore en marche. Bordel ça va cramer. Le manteau fut jeté sur un siège ; la cafetière, éteinte ; les pieds, déchaussés. Car que sert la chausse en lieu connu et clos ? L’on use suffisamment nos semelles au dehors, et nos pieds n’y sont que trop pris. N s’assit, prit l’un de ses carnets, tira une cigarette du paquet nouvellement acheté — c’était une sortie en manière de sphinx sans secret —, et se mit à écrire.

*

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