dimanche 3 mai 2009

N (2004), chapitre huitième.

Chapitre huitième,
Où l’on réalise que la mission
N’est pas celle que l’on croit,
Ce dont personne ne se fâche.




… …


… … …

Noir. Il fait plutôt Noir par ici. Et l’autre n’est plus là. Et en effet, il semblait bien que N fût seul, et dans une obscurité presque totale. Bien. Où suis-je tombé ?
Nuit noire ? Pas vraiment. Ses yeux commençaient à s’habituer à la pénombre ambiante, et il y vit bien tôt quelque peu. Qu’il se trouvât dehors, il le savait déjà, car une légère brise soufflait par instants.
Le ciel était dégagé, et l’on pouvait voir infiniment plus d’étoiles que sous les latitudes parisiennes. Cercle polaire ou équateur ? Au sentir de la douceur climatique, N penchait plutôt pour la fin du jour en Méditerranée — mais il eût pu être, tout aussi bien, sur les rives du lac Baïkal, par exemple. Il fallait avancer pour départager tout cela : il commença par ôter sa pelisse et ses bottes.

N était sur un chemin de terre, sèche, la terre. L’entours semblait vallonné et peu fourni en végétation : quelques arbres, çà et là, émergeaient en ombres chinoises sur le bleu sombre du ciel. N se mit en marche, au hasard de la route — il prit la montante —, en tentant, tant bien que mal, de demeurer sur celle-ci. Grillons et cigales chantaient leur soûl à gré. Italie ? Grèce ? Et le cow-boy s’est fait la malle. C’est pas au point leurs trucs d’apprentis-sorciers. Enfin.

N cheminait, ce lui semblait, depuis près d’une heure. Promenade au demeurant agréable, si n’étaient les incertitudes et doutes qui entouraient son point de chute. Décidément, ça brûle. Il sentait à N, depuis quelques temps, que flottait dans l’air, un air de fumée. L’odeur se faisait plus insistante et, puisque les routes mènent toutes à quelque part (les Holzwege de Heidegger ne sont pas monnaie courante), N décida de ne s’en écarter pas, espérant que le foyer du feu — ou quelque lieu d’habitation où l’on pût le renseigner — fût le bout du chemin. On verra bien. Pour changer.

Au bout de la route, il y avait bien une maison. C’était une maison un peu curieuse, faite de terre et de chaux — à la vue de laquelle N émit l’hypothèse (rappelez-vous les cartes postales) qu’il était en Grèce. Il toqua à la porte de bois faite. Une femme d’environ quarante ans, vêtue d’une curieuse tunique, ouvrit. N balbutia deux mots, et l’habitante lui répondit dans une langue tout aussi curieuse que le reste. Damn it. Masaka…? Avec peine, N mobilisa ses vagues souvenirs de Grec ancien, qui furent accueillies par un sourire. Eh bien si je m’attendais à ça.

Malgré l’accoutrement dépays de N, la femme, d’un joli geste, le pria d’entrer dans son humble maisonnée. Pas de mari en vue. Une petite fille, occupée à filer laine, était assise au près du feu. La maîtresse de maison lui offrit des dattes séchées, du pain et de l’eau, qu’il reçut volontiers (c’est qu’il devait être six heures du soir dans son Paris, et N n’avait fait sienne l’habitude de déjeuner).

Une fois fait l’honneur, à la table et à l’hôtesse, N se dit qu’il était temps qu’il se présentât. D’un même mélange de souvenirs et de gestes, il se nomma puis manda le nom de cette maîtresse de maison, fort aux faits d’hospice et d’attention. Elle lui répondit : « Prunè » (Prynée, Prynée, traduit N dans sa tête. Joli comme tout, ce nom d’autres temps.), puis désigna sa fille (?) par : « Dôrothea » (Dorothée. Le cadeau divin, ça je sais au moins.).

Prynée — ou plutôt Prune, comme avait décidé N de l’appeler pour soi seul — n’était pas grande (oui, l’on ne coupe que rarement aux descriptions, dans ce genre de livres ornés de peu d’images), sans être petite non plus. Elle avait de l’allure, malgré — ou peut-être grâce à — sa simple mise, hors les canons de son siècle (nous n’en savons que les vases), et mince, en dépit de son âge. Comme quoi l’huile d’olive… Son visage était plein de petites rides : N le trouvait joli encor. Ah, vingt ans plus tôt… ! Des yeux foncés, aux paupières un peu lourdes, sans maquillage. De longs cheveux bruns en chignon haut. Sa tunique couleur de terre, bordée d’un rouge liseret, était à l’image de sa maison : simple et fière. L’intérieur aussi, était passé à la chaux ; table et chaises de bois meublaient l’ensemble. Le tout n’était qu’un bloc. Au fond, N devina la couche, à même le sol, à main gauche de l’âtre. Il scruta discrètement la pièce, et, comme à son attente, il distingua, le long du même mur, un autre lit, qui devait être celui de l’enfant.

Elle, était jolie — très jolie même. Il voyait seul son profil, léché par la lumière des flammes, et ce spectacle, goûté du coin de l’œil, le réjouissait infiniment. Des yeux clairs, oui : N n’eût pas été surpris d’apprendre qu’un père étranger fût la cause de l’exil dont la famille semblait avoir été frappée. Des yeux clairs, donc, et, à l’exception de ceux-ci, tout le charmant reste sommait la mère (jusqu’à la tunique), à laquelle on aurait retranché une trentaine d’années. Ah, dix ans plus tard… ! La petite était toute à son ouvrage. N surprit Prune le surprenant qui observait la petite. Ah, ça me rappelle quelque chose… Elle sourit.

Il était étonnant que toutes deux fussent encore debout à cette heure avancée du jour (du moins N la supposait telle). Il tenta lors de se renseigner quelque peu sur le lieu et l’époque, à coups interrogatifs de noms de villes et batailles, stratèges et sages. Dénégation générale. Pas plus avancé, mais plus que probablement très loin dans le temps (à l’échelle humaine, il s’entend), N tenta, amusé et confus à la fois (l’on eût dit un gosse), de communiquer avec la Prune qui, par ailleurs, ne semblait pas en reste, question amusement.

Une bonne partie de la nuit ainsi passa, jusqu’au moment où celle-ci (la Prune et non la nuit) lui fit courtoisement comprendre qu’était venu le temps de gagner la couche. Avant même que N eût le temps d’opiner, Prune appela sa fille dans un dialecte qu’il ne reconnaissait. Eh ? La petite fille laissa là son filage, et approcha des attablés. La mère pria N de se lever, et la fille le prit par la main, jusqu’à sa couche, où elle commença, sous l’œil examinatif de sa mère, à le dévêtir. N, quoique surpris, se laissa faire, car il prévoyait nombre sourires en perspective. Non qu’il préjugeât de l’imagination et de l’inventivité de la petite, mais son accoutrement vingtiémiste allait probablement lui poser quelques problèmes de gestion. Et en effet, elle achoppa dès cette chose (c’était le pull) qui ne se drapait ni ne se laçait. Elle persévéra, et ne s’en tira pas si mal.

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