dimanche 16 août 2009

N (2004), chapitre vingt-troisième.

Chapitre vingt-troisième,
Plus long,
Où l’on se réveille tour à tour,
Et parle avant l’eau.


N s’éveilla de bon matin. Il se défit de la tête et sein chaud qui doucement pesaient sur son ventre. Ce fut sans bruit qu’il sortit du lit.

Il descendit l’escalier, jetant en son tour quelques regards encore embrumés par la veille, à fin de voir à quoi ressemblait la bicoque au jour. Dans la cuisine, il eut tôt fait de trouver café, filtres et cafetière, qu’il mit en suite en route. Pendant que le liquide s’écoulait, il jeta un œil sur la bibliothèque de la pièce principale. Il eut un sourire amusé au vu des choses rarissimes qui s’y trouvaient. Ben voyons. Nous épargnerons aux trop nombreuses lectrices et lecteurs, supposons-nous, que la bibliophilie n’intéresse, le catalogue des joyaux là sertis. N était absorbé dans ces pages, lors que la cafetière cracha. Il remit le feuilletage à plus, et fit le nécessaire. Mug en main, il alla s’asseoir sur les marches de l’arrière-jardin, et contempla quelques temps l’océan, tout en sirotant l’amer breuvage qui réchauffait ses mains.

N entendit la porte jouer dans son dos. La jeune fille vint s’asseoir à ses côtés, sur ces marches de bois, mug en main. Elle portait cette longue chemise blanche et sans col. L’air était frais encore.

« — J’aimerais assez que Dmitriu tarde un peu, lui dit-il en guise de salut. Bien dormi ?
— Bien, répondit la jeune fille entre deux gorgées de café. C’est un oiseau qui m’a réveillé : il chantait une chanson paillarde !
— Eh, est-ce si surprenant ? Voyez votre appareil !
— Ah, ça dépend. Je trouve ça plutôt déplacé. Au fait, vous avez arrêté par exprès la conversation de l’autre jour. Je ne vais pas vous lâcher de si tôt ! Que vouliez-vous dire ?
— Oh, je ne sais plus, fit-il le nez dans la tasse.
— Comme si ! fit-elle, minaudant d’un haussement d’épaules.
— …
— Alors à quoi pensiez-vous avant que j’arrive ? fit-elle, petite fille. Qu’est-ce qui vous occupe, là, tout de suite?
— Eh bien je me disais, après avoir fait votre connaissance, que vraiment il faudrait remédier à la fascination que les jolies personnes de votre sexe exercent sur nous…
— Oh oh ! (Haussement de blond sourcil.)
— Je pense même envoyer à tous les gouvernements une requête visant à faire crever les yeux à tous les nouveaux-nés mâles —eh ! mal-nés peut-être ! pardon —, à fin que les relations entre sexes prennent un départ nouveau et, espérons-le, fécond. Je ne parle pas d’embryologie, précisa-t-il.
— Hum, qu’est-ce qu’un homme sans œil ? demanda-t-elle en plongeant les siens dans ceux de son voisin. Pour notre part, nous avons, à vous lire, l’oreille et l’imagination. Mais que resterait-il aux hommes pour le plaisir des sens, à distance — si c’est de cela dont vous parlez —, si vous laissez là la vue ?
— Oh, pas mal de choses, je crois, et dépend certes de qui. Il y a du boulot. Mais ce serait une chaîne en moins. Et vous n’auriez plus à vous cacher de nous pour vos manèges. Hop, délivrés du caroussel de vos atours. Finis nos coups de tête que vous décidez et qui vous servent.
— Comme vous y allez ! dit-elle en riant. Ce n’est pas un peu dur ?
— Au contraire : vous aurez encore moyens de nous plaire passée la trentaine, et ne serez peut-être pas aussi pressées de nous-vous caser. Ah, mais pour plaire, il vous faudra probablement inventer de nouvelles ruses. De toute façon, vous ne pouvez pas vous en empêcher.
— Eh bien ! c’est possible, mais (sourire) c’est loin d’être flatteur…
— Justement : je veux juste en finir avec les jeux stériles.
— Oh, stériles, stériles, ça dépend pour qui — et d’ailleurs ce n’est pas avec ces jeux-là qu’on vous fera des gosses dans le dos.
— Des gousses dans le dos ?! fit-il en s’étranglant.
— Des gosses ! des gosses !
— Ah…
— Qu’est-ce que vous allez vous imaginer ? On ne vous fera pas des gosses dans le dos !
— Mais des cheveux blancs, ce n’est pas dit.
— Ah ah… Bon, ça cache quoi, tout ça ? Qu’est-ce qui vous dérange, au fond ?
— Bah.
— Un souci ? fit-elle avec une moue boudine.
— Eh bien, voyez-vous, cela me fait mal, quand et à chaque fois que, par exemple, je croise une fille, que je connais ou ne connais pas, et qui me plaît, un peu, beaucoup. J’aimerais l’aimer, mais ne le peux, sauf exception, pas. Pourquoi ? Du fait — du fait de quoi, au fait ? — des mœurs qu’on nous impose, de ce qu’on, de ce que d’autres vous ont foutu dans la tête. Il faudrait pouvoir se scinder en cent, car on ne fait pas la part des choses, et ne sait plus les choses faciles — elles sont devenues louches, on s’en méfie comme de la peste. D’ailleurs, en plus de prouver son amour, il faut à présent présenter carnet de santé et relevé de banque — remarquez, pour les sous c’est pas nouveau. Alors, comme je fuis la complication, je me terre, et préfère un rien plutôt qu’un centième.
— Ah ha ! Intégrité, intégrité ! Mais il faut choisir, et ce n’est pas nouveau non plus.
— Et ce n’est pas une raison ! Du reste, il est des exceptions. Perles petites. Mais faut-il encore aller à la pêche.
— Ça ne tient qu’à vous.
— Bah, l’envie manque.
— Et là ? maintenant ?
— Maintenant me va, fit N en lui retournant sourire.
— Ah, quand même ! fit la jeune fille en mimant le triomphe, mains sur les hanches, le buste en avant, et chevilles fines. Bon, je vais prendre une douche : ne fuyez pas, hein ? Ou peut-être un bain. (Sourire.) Vous savez où me trouver, n’est-ce pas ? »

N ne répondit pas et garda son sourire. La jeune fille s’éclipsa en déhanché coquin. N la regarda passer du soleil à l’ombre, puis disparaître dans la cuisine. Le sourire disparut lui aussi.

Un temps. Il se leva, r’emplit sa tasse, et revint sur ces mêmes marches, plume et cahier en main. Il parcourut la baie du regard, C’est quand même chouette, alluma une cigarette, et se mit à écrire.

*

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