mardi 5 janvier 2010

Textes courts : La ville

LA VILLE.


Au lieu de s’étendre horizontalement, et en raison des lois concernant la protection de la nature, de la végétation et des niches écologiques, votées il y a cent cinquante-trois ans de ce jour, notre capitale se développa dans le sens le la hauteur.

La gravité imposant de formidables contraintes aux constructions humaines, la limite de l’extension céleste fut rapidement atteinte, car la population croissait à une allure folle, donnant par-là même tort aux prévisions de nos plus éminents géographes et statisticiens.

La solution fut logiquement celle qui seule demeurait : l’on creusa toujours plus profondément dans la terre.

L’espace ainsi dégagé fut lui-même occupé à une vitesse incroyable par les franges nouvelles de la population, lesquelles ne pouvaient se permettre de consacrer une part sans cesse croissante de leurs revenus aux loyers prohibitifs de la surface.

Ils furent ainsi des millions à investir le sous-sol et les bas-fonds de notre belle capitale.

On raconte même qu’une part non négligeable de ces Parisiens des Profondeurs ne voient ni ne virent jamais la lueur du soleil, et que par ailleurs ils mourraient aussitôt au contact d’un air auquel ils ne sont plus familiers depuis plusieurs générations.

On prétend également que la révolte gronde dans certains quartiers maintenant oubliés, tout au fond.

La vérité est que nous sommes dans une impasse réelle, car si ces bruits sont fondés, rien ne pourra plus nous sauver : la pollution a brisé notre atmosphère, et l’air, à la surface, est irrespirable. Nous sommes tous ici condamnés à une mort à petit feu, à une mort violente même, si l’on n’a garde de sortir sans réserve d’oxygène, ou d’en tomber à court.

On raconte aussi que les machines automatisées préposées au forage continuent leur ouvrage, qu’elles auraient atteint des profondeurs inimaginables, et que même d’ingénieux habitants des profondeurs les auraient détournées de leur course initiale à fin que les excavations s’opérassent latéralement.

Il faut souhaiter qu’une part de ces rumeurs, à tout le moins, soit exacte, car c’est notre seule chance de salut. Encore faut-il que, dans ces quartiers immenses et par nous inexplorés encore, nous ne soyons pas les malvenus.

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