samedi 11 octobre 2008

Textes courts.

TEXTES COURTS
suivis de deux
TEXTES UN PEU PLUS LONGS

2004-2005







TEXTES COURTS
(par ordre chronologique d'écriture)







ASCENSION.


Hier encore le chemin était dur. L’on a monté une paire d’étages. Greg était à bout de force : on a dû l’abandonner à regret. Les plus résistants d’entre nous seuls arriveront au sommet.
Le manque d’oxygène se fait sentir à chaque marche, lesquelles ne sont pas même tout à fait sûres. Notre rythme a certes ralenti ; mais l’on aurait tort de s’attendre à pouvoir maintenir celui qui était le nôtre au commencement de l’expédition.
C’était il y a un mois.
Il est vrai que nous avons fait fausse route à deux reprises, ce qui nous contraignit à rebrousser un chemin que nous avions parfois mis trois jours à parcourir. La fière détermination qui nous animait s’émousse maintenant de jour en jour.
Il suffit de regarder chacun de nos visages creusés, tirés, gris presque, pour constater les ravages du jeu des éléments et le surcroît de dépense qu’il occasionne dans notre ascension.
La fatigue n’est pas la seule en cause. Il y a six jours, plutôt que de poursuivre le calvaire, Sixtine a préféré se jeter dans le vide qui sépare les deux rembardes de l’escalier. Au moment de sauter, elle nous demanda de l’excuser. Le fracas du choc entre son corps et le sol — mais peut-être n’était-ce qu’un palier — nous parvint, comme étouffé, quelques minutes plus tard.
C’est alors que les nerfs du groupe ont commencé à lâcher. Je n’aurais jamais cru que cela pût arriver si vite. La grimpe physique de l’immeuble se meut insensiblement en lutte psychologique, contre soi-même, contre les autres, contre ces marches de bois ciré qui toutes se ressemblent et n’en finissent.
Les provisions commencent à manquer suffisamment pour qu’on les rationne tous les jours un peu plus. Il ne m’étonnerait pas qu’entre nous des querelles se déclarent. Ce sera lors plus dur encore de maintenir un semblant d’ordre et de courtoisie, duquel notre vie dépend.
Nous restent cinq jours avant la date que notre hôte a fixée pour la petite fête à laquelle il nous a conviés — invitation que tous alors avions joyeusement acceptée.
Il est encore humainement possible que nous arrivions à temps, à raison de deux ou trois étages par jour.
C’est pourquoi il nous faut garder notre calme et persévérer dans notre effort, quelles qu’en puisse être les conséquences. Car, dussions-nous n’avoir qu’une heure de retard, nous perdrions un ami pour n’avoir tenu parole, et ne trouverions au sommet que porte close.







RAPPORT.


« Je ne sais ce que vous en pensez, mais je qualifie ce qu’il a fait d’inexcusable.
« Qui l’eût cru ? L’on sait pourtant que le maintien est chose cruciale. Perdre ainsi son sang froid…
« Faire partie d’une société, c’est en accepter les règles, fussent-elles écrites, dites ou tacites. À ceux qui refusent cet ordre bienveillant et désintéressé, restent toujours le dessous des ponts, la vérole, les immondices et ce qu’ils nomment liberté, n’est-ce pas ?
« Je ne suis pas en désaccord avec vous sur ce point : il est vrai que, à sa décharge, il fit preuve d’une politesse extrême quand il fut mis en détention préventive, puis inculpé, faute de preuve qui pût résolûment convaincre les media.
« Il me faut toutefois vous apprendre qu’en tête à tête il n’hésitait pas à stigmatiser cette même société qui nous fait vivre.
« C’est pourquoi je m’étonne qu’il ait pu si longtemps dérober à la vue et au su de tous son vrai visage. Ses voisins et voisines vous ont probablement fait part de l’excellence et de l’agrément de sa conversation et de son comportement envers leurs personnes. Il est indéniable par ailleurs qu’un sourire affable et parfois même charmeur accompagnait chacune de ses rencontres, quelles qu’elles fussent, indiscriminées.
« C’est pourquoi je viens vous trouver, Monsieur l’Agent : je suis la seule personne qu’il côtoyait régulièrement avant qu’il rejoignît votre établissement, et il m’appelait parfois son ami.
« Mais insulter ainsi le tribunal qui lui fit l’honneur de s’abaisser à reconnaître une erreur de jugement qui n’en était pas une lors du procès initial et qui, alors que rien ne l’y obligeait, le rendit à la vie civile après ces six ans qu’il passa volontiers en prison, puis demander en sus un dédommagement gracieux, lequel lui fut refusé, en conséquence de quoi il perdit son sang-froid et commit l’acte que vous savez… C’est inexcusable, et c’est pour cette seule raison que je viens vous apporter les preuves accablantes du double jeu que l’homme dont nous parlons a mené durant toutes ces années, avant même son incarcération.
« Je comprends que vous soyez surpris, Monsieur l’Agent ; mais, avec tous les égards que votre fonction mérite, est-il tout à fait nécessaire de placer un simple témoin tel que moi en garde à vue d’une durée indéterminée ? Je sais mon tort de n’avoir fait rapport de ces faits que j’avais en ma connaissance depuis long ; mais mon ami purgeait lors sa peine, et il n’était pas indispensable que… Oui, je comprends parfaitement et me fie à votre jugement. Me permettrez-vous seulement que j’en avertisse mon épouse et mes enfants ?
« Ah, vous êtes trop bon de daigner vous charger de cette tâche en personne… Les convoquer pour interrogation préventive est-il vraiment nécessaire ? … Non, Monsieur l’Agent, il est bien inutile de me remercier pour les éléments nouveaux dont je vous ai fait part à l’instant… Oui, je suis sûr que vous mènerez diligemment cette enquête. Veuillez seulement me laisser… Attendez un moment, je vous prie… Je vous assure que ma famille n’a aucun lien, lointain ou proche, avec cette affaire en laquelle je suis seul impliqué. Non que j’aie la moindre chose à me reprocher, même si, je le sais parfaitement, j’eusse pu venir à vous plus tôt…
« Puis-je vous demander où vous me menez ? Ce joug est-il bien nécessaire ? Que… ? Non, attendez, je n’ai… »







CRÉDIT.


C’est aujourd'hui la troisième nuit que je passe dehors.
Les autorités furent dépêchées à mon domicile au moment même où mon établissement bancaire, par de savantes projections et courbes infaillibles, a déterminé que je n’aurais été en mesure de régler la traite du mois prochain. Je fus explusé sans préavis, ainsi que le prévoient, je suppose, les textes actuellement en vigueur. Mes possessions furent dans l’instant saisies à fin de réduire les pertes et frais qu’eussent occasionnés mon incapacité future à payer ce qui eût été dû. Les agents chargés de l’affaire ont eu la clémence de me laisser les vêtements que je portais sur moi, avant de me jeter sur le pavé.
C’est pour moi une chance que nous soyons au printemps : j’ai ainsi quelque temps devant moi pour m’habituer à ma nouvelle condition avant que vienne l’hiver, lequel est réputé rude envers ceux de mon état.
J’ai passé ma première nuit sur un banc, dans un parc près de chez moi, durant laquelle j’ai attrapé un rhume, à cause de la rosée matinale habituelle à cette saison. Il faisait beau pourtant, et la nuit fut claire.
Après quelques heures d’active recherche, j’ai pu grâce à Dieu trouver une vieille couverture, laquelle fut probablement jetée aux ordures en raison des nombreux trous qui la parsemaient. Au moins aurai-je moins froid pendant la nuit prochaine, me suis-je lors dit.
J’ai en suite vaqué à la recherche d’un abri convenable, laquelle fut interrompue par une violente averse : je décidai d’arrêter mon choix au lieu où je me trouvais, et élus ainsi domicile sous le Pont Saint-Georges, à rive gauche. J’étais fatigué par la marche faite durant le jour, somnolais malgré moi, et eus tôt fait de m’endormir.
Je fus réveillé par une violente douleur à la tête. Un groupe de sans-abris, composé d’une demie-douzaine de personnes, m’entourait et me frappait avec des planches vermoulues. La piètre condition de leurs armes eût atténué les dommages causés par les coups, si celles-là n’avaient été garnies de clous.
Après un quart d’heure de maltraitements chaotiques, lequel me parut durer une éternité, ceux-ci cessèrent. On empoignit mes chevilles et me traîna sur trois ou cinq mètres environ. D’autres personnes, une seule peut-être, saisirent mes poignets. Je me sentis soulevé de terre : on me jeta dans le fleuve, non sans avoir ri beaucoup et juré.
Avec une peine infinie, je me hissai sur le premier quai que je pus atteindre, non sans mal, disais-je, car, mis à part le fait que j’étais blessé — je ne savais encore avec quelle gravité —, mes vêtement étaient gorgés d’eau et leur poids m’entraînait vers le bas. Il me vint alors à l’esprit le regret de n’avoir jamais été sportif. Passé le danger de noyade, je perdis rapidement conscience à même le quai.
Je me réveillai le lendemain, ce matin. J’étais glacé jusqu’aux os, si je puis dire, et grelottais. Mes vêtements étaient mouillés encore, mais je ne pouvais me permettre de me dévêtir : les passants, sans doute d’honorables citoyens sur le chemin de leur lieu de travail, me dévisageaient déjà, bien que je fus en contrebas.
Une faim tenace me meurtrissait l’estomac. Je tentai de me redresser à fin, pensai-je, de réunir une maigre pitance que je n’eusse manqué de trouver dans les poubelles des restaurant dont le voisinage était fourni. Toutefois, je ne réussis pas à me remettre sur pied : je réalisai l’étendue des blessures qui m’avaient été infligées la veille. Je n’étais pas en mesure d’inspecter mon visage, mais mes mains étaient couvertes d’ecchimoses violacées et de croûtes de sang séché.
Je décidai de passer cette nuit à l’endroit même où je passai la nuit dernière, à fin de récupérer quelque peu.
J’espère seulement que la douleur physique qui court dans chacun de mes membres bientôt s’atténuera, que je puisse dormir quelques heures.







AU LOIN.


J’ai beau tenter de leur expliquer la situation, eux et moi ne parlons pas la même langue : je ne comprends pas un mot de ce qu’ils me murmurent et me crient à la figure.
Les femmes sont les plus violentes d’entre mes interlocuteurs. Il est certain que si elles pouvaient m’atteindre, elles me mordraient ; mais je suis à l’abri. Leurs paroles sont des rugissements de rage et d’envie.
Les yeux des hommes ont cette douceur qui inspire la confiance. Les mots qu’ils prononcent ne parviennent jusqu’à moi, couverts par le vacarme femelle. Leurs yeux parlent pour eux.
J’observe la distance qui me sépare de cet étrange attroupement, laquelle se réduit sans cesse.







RENDEZ-VOUS.


Je ne saurais dire avec précision ce qui, chez cette personne, me déplut le plus.
C’était peut-être ces grands yeux tristes, aux paupières comme exagérément tirées vers le bas. Ils étaient sans expression aucune, mornes, vides, tristes malgré tout. Je hais les choses qui excitent la pitié, laquelle n’est pas, chez moi, une disposition très-naturelle.
La bouche avait gardé, tout le temps de notre entretien, un sourire figé qui se voulait avenant. Ces fines lèvres retroussées en un rictus censé exprimer la joie, le contentement ou la satisfaction, découvraient une dentition d’une blancheur innaturelle. Aucune des incisives lors visibles ne se chevauchaient : l’alignement était parfait. La perfection n’est pas humaine. Chose tout aussi étrange, les extrémités des dents étaient toutes exactement nivelées. C’était absurde : l’on eût dit que tout cela eût été tracé au moyen d’une règle, et d’un compas.
La gencive était d’un rouge carmin, vif.
Les joues et les tempes étaient ravagées par une éruption de boutons, lesquels devaient être soumis à un traitement médical intensif, ce qui laissait la peau rouge, inflammée, sèche, et très-poreuse ; mais cela arrive à tout le monde.
Les chevilles, sous de blancs collants, semblaient des troncs noueux.
Les ongles des mains étaient peints.
Je n’en pus supporter davantage, tant tout l’être de cette femme, qui devait avoir trente ans au plus, rayonnait de la pensée qu’elle se trouvait belle.
Je ne pus me résoudre à la toucher, et la tua à coups de chaise — celle-là même qui m’avait été présentée et offerte quand je suis entré, tout à l’heure, dans la pièce où elle m’attendait depuis vingt-huit minutes environ.







INNOCENCE.


Ce n’était pourtant qu’un jeu.
Nous étions censés prétendre, en manière de plaisanterie, qu’il était un monstre difforme. Il avait eu l’idée de se glisser dans un de ces grands sacs de toile brune, lesquels à l’ordinaire contiennent les granulés qui servent de complément alimentaire pour les chevaux. Celui-ci était vide et comme exactement à sa taille : ses pieds seuls demeuraient visibles.
Il avait commencé à pousser des grognements horribles entrecoupés de fous rires à grand’peine maîtrisés. Nous jouâmes le jeu et reculions avec des cris de terreur feinte à mesure que la chose avancait vers nous.
Martin fut le premier à ramasser une pierre et à la lancer en direction de la bête. Celle-ci mima la douleur et fit mine de se mettre en colère, grognant de plus belle.
Nous jetâmes tout ce que nous trouvâmes à portée de main avec une force et une violence sans cesse croissantes.
Portés, sans doute, par l’euphorie du moment, certains eurent l’idée de saisir les outils d’ordinaire utilisés par mon père aux champs, et de s’en servir.
La bête bientôt s’affaissa, mais il était de notre devoir de veiller à ce qu’elle ne se relevât pas, et les coups ne s’arrêtèrent que longtemps après.
Quant nous nous décidâmes à extraire du sac notre camarade, lequel, d’un commun accord des assaillants, avait brillamment rempli son rôle, l’un de nous remarqua que l’innocent déguisement était taché de noir.
Louis était méconnaissable, comme brisé, horriblement mutilé, et mort.
L’un de nous se mit à sangloter, aussitôt suivi par le reste du groupe.
Maman va encore me gronder.







LE RÊVE.


Les rêves sont parfois trompeurs, ou du moins nous touchent dans une proportion et avec une force qui rend vain tout raisonnement à leur sujet.
La nuit dernière, je rêvais qu’un regard fixe et pénétrant, de ceux dont on ne peut se défaire et qu’on fixe en retour malgré soi, me poursuivait jusque dans le feu de la crémation.
Ce matin, je me levai, fis ma toilette, m’habillai, sortis, pris le Métropolitain, trouvai une place assise dans la rame, peu peuplée à cette heure, et m’y plaçai, comme tous les matins des jours ouvrés de la semaine.
J’allais sortir de mon sac un livre à fin de passer le temps, quand mon regard croisa celui de la personne assise en face de moi. C’était un regard identique à celui croisé dans mon rêve, malgré moi et les efforts déployés pour lui échapper. Je frissonnai de surprise et fus pris de stupeur : bouger le moindre muscle me sembla impossible, car vain.
Le regard fixe et pénétrant de mon vis-à-vis ne me quittait pas. Je sentais grandir en moi, par bouillons, l’anxiété. Les autres passagers de la rame, tous les autres, le monde entier, étaient toujours les mêmes, imperturbables dans leurs vies confortables et régulières ; mais moi j’étais sur le point de hurler —
— Quand tout à coup l’homme se leva, et son regard se décrocha du mien. Il descendit de la rame. Sa main droite tenait une canne blanche qui oscillait devant lui comme un pendule.







LA VILLE.


Au lieu de s’étendre horizontalement, et en raison des lois concernant la protection de la nature, de la végétation et des niches écologiques, votées il y a cent cinquante-trois ans de ce jour, notre capitale se développa dans le sens le la hauteur.
La gravité imposant de formidables contraintes aux constructions humaines, la limite de l’extension céleste fut rapidement atteinte, car la population croissait à une allure folle, donnant par-là même tort aux prévisions de nos plus éminents géographes et statisticiens.
La solution fut logiquement celle qui seule demeurait : l’on creusa toujours plus profondément dans la terre.
L’espace ainsi dégagé fut lui-même occupé à une vitesse incroyable par les franges nouvelles de la population, lesquelles ne pouvaient se permettre de consacrer une part sans cesse croissante de leurs revenus aux loyers prohibitifs de la surface.
Ils furent ainsi des millions à investir le sous-sol et les bas-fonds de notre belle capitale.
On raconte même qu’une part non négligeable de ces Parisiens des Profondeurs ne voient ni ne virent jamais la lueur du soleil, et que par ailleurs ils mourraient aussitôt au contact d’un air auquel ils ne sont plus familiers depuis plusieurs générations.
On prétend également que la révolte gronde dans certains quartiers maintenant oubliés, tout au fond.
La vérité est que nous sommes dans une impasse réelle, car si ces bruits sont fondés, rien ne pourra plus nous sauver : la pollution a brisé notre atmosphère, et l’air, à la surface, est irrespirable. Nous sommes tous ici condamnés à une mort à petit feu, à une mort violente même, si l’on n’a garde de sortir sans réserve d’oxygène, ou d’en tomber à court.
On raconte aussi que les machines automatisées préposées au forage continuent leur ouvrage, qu’elles auraient atteint des profondeurs inimaginables, et que même d’ingénieux habitants des profondeurs les auraient détournées de leur course initiale à fin que les excavations s’opérassent latéralement.
Il faut souhaiter qu’une part de ces rumeurs, à tout le moins, soit exacte, car c’est notre seule chance de salut. Encore faut-il que, dans ces quartiers immenses et par nous inexplorés encore, nous ne soyons pas les malvenus.







DISTANCE.


Cela fait bien longtemps que tout contact physique entre les humains a cessé.
La poste, le téléphone, internet, et ses développements les plus récents, ont rendu superflue toute rencontre directe. La distance entre les êtres croît sans cesse chaque jour.
Grâce aux progrès rapides de la science, et particulièrement de ses applications dans le domaine génique, l’on ne s’embarrasse plus même des désagréments de la paternité, de la maternité, et de l’enfantement. Toutes ces fonctions, jadis nécessaires à la reproduction de l’espèce, se font à distance, par mille interpositions et services.
Le désir, terme aujourd’hui désuet que recouvre celui de pulsion sexuelle brute, était le moteur premier de la reproduction en d’autres âges moins civilisés, tour de la nature à fin que le cercle ne soit rompu.
Il est aujourd'hui mille manières des plus extravagantes de le satisfaire : les machines s’acquittent de cette tâche à merveille. On peut même, s’il nous trouble ou nous empêche, le supprimer. Un simple formulaire décide de son sort et nous en débarrasse.
Sait-on seulement à quoi ressemble l’homme de nos jours ? Les miroirs, et par extension toute surface réfléchissante, ont été déclarés nuisibles à la communauté. Je ne sais pas même la forme de mon visage.
C’est cette simple raison qui m’a décidé, il y a vingt-deux ans, à embrasser l’état d’historien.
C’est un métier déconsidéré, au traitement infime, lequel me permet à peine de vivre. La plupart des archives nécessaires à mon travail sont depuis long détruites, ou d’un accès difficile, voire impossible par voie légale.
Je sais que rien de ce que je ferai ne changera l’état des choses.
Mais je ferai tout pour savoir à quel moment et pour quelles raisons, tout tourna mal.







SOURIRE.


Un sourire hautain ne quittait jamais sa bouche, laquelle avait dû prendre naturellement ce pli à la longue.
Elle s’étonnait de ce que toutes ses connaissances de travail, de rencontre, d’amitié ou de cœur, s’étaient peu à peu éloignés d’elle, qui vivait à présent dans une grande solitude au milieu de tous ces gens qu’elle fréquentait par plaisir ou obligation, mais qui jamais ne recherchaient plus sa compagnie.
Un jour, on m’a dit qu’il fut un temps où elle était belle, vive, intelligente, et ambitieuse. Elle eut le tort d’en tirer beaucoup de vanité, de mépriser ses semblables, et de le leur faire comprendre sans détour. C’était il y a longtemps, m’a-t-on dit.
Son cœur avait changé, mais le pli de ses lèvres demeurait, comme un stigmate irrémiscible de sa jeunesse.
Je ne sais tout cela de première main, car je suis aveugle, et son compagnon.
Mais il me suffit d’imaginer ce sourire pour sentir grandir en moi à son égard, une insurmontable répulsion.







LE MUR.


J’ai toujours abhorré ce désir qui mène le monde et pousse deux êtres à se frotter l’un contre l’autre en poussant des gémissements de concert, comme il sied dans toute société égalitaire et civilisée.
C’est pourquoi j’ai vu d’un œil favorable le développement rapide et l’extension géographique sans précédent du virus du SIDA, lequel ne laissa bientôt, conformément à mes prévisions, aucune terre, aucune âme, intouchée.
Les marges de la population qui se livraient à une sexualité excentrique furent décimées. Les maigres restes de celles-là, ainsi que les hétérogames réguliers, ne se livraient plus au congrès que de manière prudente et sporadique : ma guerre était sur le point de finir.
Le coup de grâce fut porté par une mutation selon toute apparence innocente du virus, en lequel s’étaient développées des mitochondries fonctionnelles. Conséquemment, le virus ne se propagea non plus seulement par l’intermédiaire des sécrétions, mais également par simple contact épidermique, puis rapidement par un simple courant d’air.
Je pensai avoir vaincu, et savourai ma victoire, laquelle couronnait ma carrière de généticien émérite et brillant, car cette mutation était le fruit de nombreuses années de recherches.
Je n’avais pas prévu qu’en contaminant toute personne, le virus déservît mon objectif.
En effet, aucune barrière ne se dressait plus entre les gents de sexe opposé ou identique, lesquels, puisque condamnés à mourir dans de brefs délais, ne consacrèrent plus leur temps qu’à cet acte qui m’est aujourd'hui plus insupportable encore.
J’écris ces lignes car je vais bientôt mourir, contaminé par le virus que j’ai développé.
J’étais préparé à ce sacrifice, mais non au dénoûment inattendu que l’on sait et qui vint briser tous mes projets et tromper mes attentes les plus chères.
Mon seul souhait, mon seul espoir, est maintenant que dans sa totalité le genre humain périsse.







SOCIÉTÉ.


Il y a quelques années de cela, je décidai de renoncer à toute vie sociale.
D’aucuns soutiendront que c’est renoncer à la vie tout court, à ce qui en fait le suc et la sève, ce qui fait enfin que la vie est la vie. Permettez-moi d’être en désaccord sur ce point avec eux.
M’est avis qu’on est d’autant moins social et sociable, qu’on est éveillé.
Cet éveil n’est en rien lié avec l’état qui consiste à ne pas dormir : c’est le degré de compréhension objective de notre condition.
Cette condition n’est pas uniquement humaine : nous formons un Tout avec ce qui nous entoure et, en ce sens, nous sommes ce Tout, et en sommes séparés, irrémédiablement.
Je ne peux vous en dire plus : cela ne vous dirait rien.
Chacun suit son chemin, lequel mène en beaucoup d’impasses ; mais peu le savent, pour ne l’avoir pas parcouru jusqu’au bout.







DOMINATION.


Comprendre ce qui pousse les gens à agir est d’une simplicité enfantine.
L’étude des animaux est le premier pas vers la compréhension des humains, lesquels ne sont par ailleurs qu’une espèce du règne de ceux-là.
Par cette étude on peut isoler les comportements instinctifs fondamentaux qui conditionnent la survie de l’individu et du groupe, lesquels sont toujours des réponses plus ou moins nettes et dérivées à des besoins vitaux : le besoin nutritif participe de la survie de l’individu ; le besoin sexuel participe de la survie de l’espèce à laquelle cet individu appartient.
Les dérivés comportementaux de ces besoins sont aisément identifiables : ils se nomment prédation et séduction. Ces réactions elles-mêmes ne sont que formes d’un comportement et pli plus puissant de la vie qui veut survivre à la vie : la domination. Dominer les autres espèces est la suite du besoin nutritif ; dominer les autres membres de l’espèce à laquelle on appartient est celle du besoin sexuel.
Les corollaires sont nombreux, et furent par ailleurs désignés en d’autres siècles qu’au nôtre : sélection naturelle, préséance du critère de la force physique sur tout autre, lequel détermine en suite la préséance dans le domaine sexuel, domination conséquente des mâles, et ce jusqu’à sédentarisation, etc.
Voilà ce que nous apprennent les animaux sur nous–mêmes car, on ne saurait trop le dire à nouveau, ils ne sont pas entièrement nous, mais nous sommes entièrement eux.
L’étude des jeunes enfants est le second pas vers la compréhension des humains, car ceux-là sont ceux-ci à visage et masque découverts.
Ce masque, appelons-le vernis social. Ses noms ont varié au gré des époques : courtoisie, politesse, bienséance, etc. C’est le comportement acquis par la fréquentation de ses semblables, lequel règle de manière non belligérente les conflits inter-individuels, décide de la hiérarchie dominatrice, et fait volontiers accepter celle-ci par les individus. Ce masque est un conditionnement qui vise à la prolifération et à la domination de l’espèce concernée sur toutes les autres.
Les jeunes enfants ne sont pas encore soumis à ce conditionnement, ou ne le sont que d’une manière imparfaite. Chez eux se font jour les traits distinctifs de l’espèce humaine et de ses individus, lesquels traits sont comme les maillons entremêlés d’une chaîne logique et, en partie, dûs à la capacité projectrice propre aux individus de cette espèce : égoïsme forcené, instinct hiérarchique puissant, lâcheté maladive, sournoiserie prononcée, vanité irrémédiable, insatisfaction chronique, instinct possessif développé, etc.
On comprend par ailleurs que s’est imposée la nécessité de réguler au mieux ces penchants : l’espèce humaine eût tôt fait de se détruite elle-même avec un certain plaisir.
En ce qui concerne le pan nutritif, ces comportements, lesquels furent conditionnés dans une certaine mesure et avec un degré relatif de réussite, eurent pour conséquences la domination incontestée de la chaîne alimentaire et la destruction quasi-totale de l’habitat naturel ainsi que de ses ressources ; en ce qui concerne le pan sexuel, disparition de la horde, monogamie, régulation des mœurs et dégénération génique croissante des individus.
Il est temps de dresser un bilan du chemin parcouru par cette curieuse espèce, et force est de constater que, si la domination sur les autres espèces fut à terme totale, les moyens mis en œuvres pour asseoir celle-ci ont conduit à un affaiblissement significatif et de progression constante de chaque individu.
Il faut croire et conclure qu’il fut fait choix de tabler sur le nombre et que par la supériorité numérique l’espèce pensait vaincre.
Il faut aussi croire que ce fut une erreur, car je suis le dernier de ma race et serai bientôt mort.







BIBLIOTHÈQUE.


En vérité, les livres sont des choses merveilleuses, et les bibliothèques de fragiles maisons où demeure l’immuable.
Tout autre support d’information est soumis aux aléas et dangers du piratage informatique, du traffic de données, de l’espionnage industriel ou sauvage, de la destruction virale, de la corruption et de la falsification, lesquelles passent parfois même inaperçues.
Du papier l’eau et le feu sont les seules menaces, ainsi que les mains que la malintention conduit.
C’est pourquoi il fut décidé, il y a cinquante ans de cela, de rassembler en un même lieu coupé du monde toutes les bibliothèques à ce jour connues.
L’édifice est indestructible, savamment auto-régulé et auto-suffisant.
Il contient un nombre incalculable d’ouvrages, lesquels ont trouvé là un ultime et parfait refuge qui fut bâti pour survivre aux hommes même.
Il s’étend jusqu’à des profondeurs qu’on n’imaginait pas pouvoir atteindre avant lui. Il n’a pas fallu moins de vingt ans pour le construire, et l’on alloua des sommes colossales à son érection.
C’est le chef d’œuvre de l’intelligence humaine, conçu pour abriter tout ce que celle-ci produisit avant lui : figurez-vous des milliers de kilomètres de galleries remplies de livres, lesquels furent un par un avec soin classés.
L’inauguration fut une fête sans précédent, puis l’édifice fut scellé.
Cela fait maintenant trente ans que je me suis perdu dans ce sombre labyrinthe, et je cherche depuis lors une porte qui ne soit pas close.







LA RUE.


Tous marchent d’un pas inégal, certains ralentissant d’autres, d’autres faisant presser le pas à leur voisin, par possible paresse, nonchalance feinte ou presse inutile — fonction, aussi, de la longueur de leurs jambes et du confort relatif de leur chausse.
Ils se déplacent par petits groupes, lesquels se composent de mâles, de femelles ou encore d’individus appartenant à chacun de ces sexes. Tous âges s’y retrouvent, mais il est rare que les membres d’un même groupe aient plus de dix ans d’écart. Le cas échéant, on a probablement affaire à une famille ou à quelque chose qui s’y apparente.
Certains marchent seuls, lesquels regardent, à la dérobée et avec envie, les groupes qui croisent leur chemin. Leurs yeux se détournent quand leur regard est par ceux-là surpris.
Les amis discutent plaisamment, entrent parfois dans des cafés, d’où des rires diffus s’échappent. Des collégiens parlent d’ordinateur et de jeux vidéo ; des collégiennes parlent en gloussant d’amourettes fatales. Des hommes trentenaires parlent filles et femmes ; des femmes trentenaires parlent grand’amour et mariage. Des couples babillent ou ne babillent pas. Des fillettes courent au devant de leurs parents, lesquels s’entretiennent politique. Les chiens prennent garde à ne se faire écraser pas, et suivent docilement la masse.
La rue est colorée à cette heure. La journée de travail est terminée, qui ne reprendra pas demain pour cause de fin de semaine. La nuit ne tombe pas encore, car l’été approche. Le soleil n’est pas couché, mais aucun rayon ne touche le pavé, arrêtés en leur course par les immeubles. Les devantures s’illuminent.
Cette rue est la vie et l’innocence mêmes, gouvernées par l’envie, et vaine.
Est-il possible qu’ils soient aveugles ? Le monde avance comme si de rien n’était. C’est un flot de dormeurs, bien installés, tranquilles.
Je me fraye un chemin tant bien que mal en sens contraire, toutes veines ouvertes.







SEXE.


Son sexe est profond comme un gouffre, humide, chaud.
Chose étrange bordée de poils noirs et drus qui s’écartent sur de rouges muqueuses, lesquelles se couvrent d’un liquide visqueux au goût de sel et de citron, il vit et respire, communique ses humeurs au reste du corps et veut les frottements qu’on lui dénie parfois.
Il s’ouvre comme une bouche, parfois démesurément. Il veut boire et manger, mais ce n’est qu’une façon de parler.
Il se ferme parfois, buté, et rien ne saurait le convaincre.
Il lui est souvent volontiers fait violence : c’est faute à l’amour que l’âme porte à l’autre, et faute à l’autre qui n’en sait la manière ; mais il est vrai que l’âme et le con ne se soucient que rarement de connaître le vît. De toutes ces choses résulte grand dommage.
Il semble qu’aucune des deux parties ne s’accorde à placer l’entretien sous les auspices d’un paisible plaisir, mais plutôt considèrent qu’il relève de l’ordre de la performance ou du devoir, ce qui leur renvoie une image de la chose et d’eux-mêmes immanquablement fausse.
La femme est à l’image de son con, de son cul, duquel on ne parlera pas ici, et de la liberté que celle-là laisse à ceux-ci de s’exprimer. Irraisonnablement contraints, ou relégués dans un prétendu oubli forgé par la haine, ils ne manqueront de la faire devenir folle.
Un corps en paix décide d’une âme sereine.
La réciproque est également vraie.







COUPLE.


Ils furent de leur propre chef unis devant Dieu par les liens sacrés et indéfectibles du mariage.
Chacun de leur côté, ils font preuve de mauvaise foi avec la meilleure volonté du monde.
L’un se couvre de mensonges, se parjure chaque jour et se force au devoir pour l’espoir et le contentement de bientôt être père.
Il n’a pu diriger les pulsions qui l’assiègent ; c’est pourquoi il vit une seconde vie qu’il tente vaguement de garder secrète, où celles-là sont satisfaites.
L’autre a décidé de ne rien voir et de se consacrer toute entière au rétablissement de son conjoint, lequel, cela va de soi, va très mal, et à la réalisation de son rêve de vie familiale claire, saine, équilibrée.
Désespérément accrochés l’un à l’autre à fin de ne pas rater leur vie, leur combat se poursuit.
Ni l’un ni l’autre ne sont innocents.







PRÉCAUTIONS.


J’ai pensé à tout je crois.
Électricité et gaz sont éteints ; les voisins, prévenus.
Mme Longrain, qui est une personne charmante et coopérative, viendra chaque jour nourrir le chat et les poissons rouges. Je saurai bien trouver un moyen de lui rendre la pareille : ce n’est pas une dame demandante.
Il ne reste pas d’habit au linge sale. J’ai bien pris garde de n’en laisser étendu. Tout fut par moi soigneusement plié et placé où de coutume.
J’ai hier fait grand ménage, afin tout soit en ordre à mon retour.
La valise est prête depuis douze heures, et rien ne manque.
Tout est prêt pour un départ que je mis trois ans à décider.
Je reviens demain.







PERSÉVÉRANCE.


Avancer m’est peine et douleur.
Cela fait plusieurs jours que je n’ai croisé d’habitation.
Nul feu auprès duquel réchauffer mes os. Non plus de mangeaille qui pût rassasier ma faim, revigorer mes membres secs.
Ici tout m’est hostile, et rien ne semble fait à mesure de l’homme.
Nous nous étendimes pourtant partout. Pas un centimètre de terre qui ne fut par nous foulé. L’on conquit le ciel, presque sans effort. Ce que l’on put prendre sans avoir à le payer d’une quelconque manière, nous le primes. Nous fîmes même quelques sacrifices.
Quelqu’un doit pourtant bien habiter quelque part dans ce domaine, où même un Dieu ne prendrait pas demeure. Quelqu’un qui, à tout prendre, eût de graves raisons de se faire oublier. Un animal, peut-être.
L’eau me viendra bientôt à manquer ; mais il me faut garder espoir et poursuivre.
Je ne sais plus ce qui décida mon départ, ni ce qui m’attend à destination ; mais rien de tout cela n’a plus désormais d’importance. Il est suffisamment difficile ici de survivre, et retrouver une raison au milieu du parcours n’empêche pas de mourir.
Où êtes-vous mes amis que j’ai laissés à bon port ?
Le vent et le froid creusent à présent démesurément mes chairs.







RIRE.


Des rires accompagnent le moindre de mes gestes.
Cela fait maintenant deux ans que cette situation est inchangée, laquelle s’est déclarée subitement, sans crier gare et sans que j’en susse jamais la cause.
Je ne pense pas avoir changé si radicalement que ces événements s’en trouvassent justifiés. Je ne pense pas même avoir changé du tout.
Du jour au lendemain, au sortir de chez moi, le plus petit mouvement de quelque partie de mon être provoqua l’hilarité des gens se trouvant dans mon voisinage.
Ce n’est pas une hilarité franche et bonhomme à proprement parler, comme celle, toute de relâche, que déclenchent les clowns et les pitres de foire ; mais une sorte de ricanement méprisant d’une intensité peu commune, lequel est d’ordinaire retenu par un reste de pudeur, de politesse ou de correction.
Je remarquai bien tôt que l’agacement puis la colère qui m’envahirent dans les premiers temps ne furent point un remède à ce curieux phénomène. À dire vrai, rien n’y fit : c’est ma croix, mon fardeau, malédiction qui m’échut comme par hasard.
Ma deuxième réaction fut de demeurer chez moi, et de n’en sortir que par pure nécessité. Je ne pus endurer longtemps cette résolution, car ma propre présence me pèse : je suis d’un naturel social.
J’ai lu dans un livre que le rire sanctionnait une inadaptation quelconque à la société ; mais j’ai toujours été apprécié par mes fréquentations et ne fais guère saillie dans la masse, ce qui rend cette situation pour moi plus absurde encore, à laquelle toutefois je ne puis rien faire.
Je recommencai donc à voir mes amis et pris le parti de rire avec eux, quelque douloureux que me fût ce rire qu’ils me jetaient à la figure : ils n’en rirent que plus fort.
Je ne sais combien de temps je pourrai encore supporter cela.
Récemment, j’ai remarqué qu’en me croisant dans la glace ma bouche commencait à se figer en un vilain sourire, lequel ressemble de plus en plus précisément à celui qu’arborent mes interlocuteurs, avant que ceux-ci n’éclatent de ce rire que j’abhorre. J’ai brisé chez moi tous les miroirs.
Je ne suis pas d’un naturel méchant, mais je sens grandir en moi une haine féroce envers les hommes.
Les choses seules me sont à présent d’un quelconque réconfort.







SISYPHE.


La présence par moi remarquée de la moindre poussière me met dans un état de malaise intolérable.
Il faut absolument que tout soit en ordre, bien à sa place, et propre. Il va de soi que cette tâche occupe la plus grande part de mes journées, car la poussière s’insinue partout.
J’ai bien essayé de clore et colmater portes et fenêtres de manière hermétique ; mais, après observation, il s’est trouvé que ce n’était un obstacle suffisant au dépôt continuel de cette fine couche qui m’exaspère. M’est avis que l’air lui-même en est la cause, et à cela je ne peux remédier.
Mon maigre arsenal n’est donc composé que des habituels ustensiles et machines qui permettent de nettoyer toutes les sortes de surfaces. Je possède une grande variété de ces armes ménagères, afin de n’être pas prise en défaut. Une pièce entière de mon appartement est consacrée au rangement de celles-ci.
Je suis constamment sur le qui-vive et veille également à prévenir toute tache : on n’est jamais à l’abri d’un accident, de la malchance ou de la maladresse, fût-elle la mienne ou celle d’un tiers.
J’eus quelques temps un compagnon ; mais, aveuglé par l’amour, j’eus la faiblesse de négliger mon combat. Cette intimité fut brève : il n’était, après tout, qu’un nid à poussière et une source constante de saleté.
Je ne reçois plus de visite et ne fréquente plus les gens que par nécessité : cela requiert en effet une attention de tous les instants et se révéla trop éprouvant pour ma faible constitution. C’est bien mieux ainsi. Je peux à présent me consacrer pleinement à mon ouvrage.
Il est évident que la propreté dans laquelle je tiens tout ce qui m’entoure est aussi l’état dans lequel je veux et dois maintenir ma personne. Cela est d’autant plus important que j’ai appris il y a peu que le corps humain produit en permanence un nombre incalculable de déchets presqu’invisibles, lesquels, par exemple les cellules mortes de la peau, constituent une part non négligeable de la poussière d’intérieur.
Toujours mieux vaut prévenir que guérir. Je me livre donc à un examen scrupuleux de mon corps, et cela plusieurs fois par jours, afin de me débarrasser de ces impuretés avant qu’elles ne se détachent de moi. Paille de fer et détergents se révèlent excellemment adéquats pour cette tâche.
Mon corps n’est plus qu’une plaie, mais l’assainissement est à ce prix. Des bandages renouvellés après chaque nettoyage garantissent par ailleurs que rien ne s’en échappe.
Je souffre de moins en moins ce corps que j’habite : ce n’est qu’une enveloppe dégoûtante dont chaque parcelle et orifice vomit et suinte d’innommables liquides. Que dire de ceux qui n’en prennent comme moi soin ? Tout cela me révulse. Comme j’aimerais être un pur esprit !
Je sais que je suis malade ; mais je n’y puis rien faire.







FAIBLESSE.


Je ne suis pas faible, mais bien plutôt : ça m’arrange.
On me méprise un peu, mais on me passe le reste de mes caprices au compte de mes faiblesses.
Je me les suis toutes attribuées : fausse modestie, individualisme forcené, flatterie, complaisance torve, séduction effrénée de l’un et l’autre sexe afin d’être entouré, fatuité, vanité, lâcheté, fuite maladive des contraintes, suffisance démesurée, mensonges — et que sais-je encore ?
Il est évident que toute personne n’est pas contituée de manière telle qu’on puisse me supporter avec aisance sur le long terme. Mon jeu risque avec le temps d’être découvert, et mon entourage se dépeuple toujours plus.
C’est pourquoi j’ai fait mienne une arme infaillible : le chantage affectif, lequel retient en mon tour les quelques personnes qui m’aiment malgré eux.
Il me suffit d’exacerber toutes mes faiblesses, sous le couvert d’un masque méchant de folie irraisonnable et forcenée, et de jeter à la figure des gens qui m’entourent depuis long temps, tout le mal que je pense d’eux en l’exagérant à peine.
Le secret est de ne s’excuser jamais et de recommencer à intervaux réguliers.
Quelques uns ne le souffrent pas ; mais les autres me restent indéfectiblement attachés : peut-être craignent-ils également la solitude. Peut-être aussi ont-ils peur de s’avouer avoir perdu un temps considérable à la fréquentation d’un esprit faux et trompeur comme le mien. Qu’en ai-je à faire ? — ce fut leur choix. Je suis après tout exceptionnel, à ma manière.

Cela fait de nombreuses années que dure ce manège. Les vieux chevaux font de l’acquis une habitude jusqu’à la mort.
À mes faiblesses se sont ajoutés maints vices, auxquels celles-là m’ont logiquement mené : dépense outrancière, satisfaction frénétique des passions vénériennes qui de l’intérieur me dévorent, irresponsabilité et parjure systématiques dont maintenant je jouis même.
Je vois pourtant l’usure qui gagne mon corps et mon âme, ainsi que le mal que je fais aux autres. Le regret parfois un instant me saisit à contempler le désarroi de ceux qui partagent ma vie et la manière avec laquelle les plus attachés se démènent pour m’aller faire mieux ; mais de cela aussi je jouis.
Le repentir et l’aveu sont pour moi impensables : ce serait renier tout ce que fut ma vie. Car je ne rappelle plus même ce qu’elle fut avant cela : le masque terrible que je façonnai et porte en permanence sur mon visage, est à présent entré profondément dans mes chairs. Tenter de l’en retirer équivaudrait à ma mort.
Je ne saurais non plus nier que je goûte cette belle figure à laquelle je dois mon succès, et ce même si ne m’échappent pas les méchantes rides qui le marquent un peu plus de jour en jour. Cela charme encore les jeunes filles.
J’espère seulement que ce rictus ne me sera jamais trop insupportable, car alors je n’aurai pas le courage de me tuer.
Je me recommanderais au Diable même afin de ne souffrir cela si celui-ci n’était la seule et piètre excuse que l’on forme pour disculper nos choix.
Je pourrai toujours me faire interner, et ainsi jouir de l’impunité des malades. Ce sera pour moi une tâche négligeable et bien facile : ma vie parlera pour moi.
Il est doux d’être faible.







AU MATIN.


Je ne fus pas même surpris de découvrir que mon sexe fût amovible. Je vous accorde que la chose a quelque air étrange ; mais je ne dis que ce qui est. Voici.
C’était un matin au réveil d’une nuit trop courte, quand les dernières bribes de rêves s’accrochent à l’arrière de nos crânes. Un désir vague mais brut flottait dans mon corps.
C’est d’ordinaire celui duquel naît cette érection matinale dont on ne sait que faire et qui se résout par la caresse — celle par nous prodiguée à nous-mêmes ou à notre voisine de couche, s’il en est une, à fin d’inspirer à l’endormie ce même désir qui peut-être nous éveilla et qui, si les rêves se ressemblent, se poursuit au corps à corps.
Aucun de ces cas de figure n’advint ce matin-là. Quand en aveugle ma main saisit mon vît pour jouer avec, elle le trouva en bandaison molle et put le retirer de sa souche. Oui, mon sexe me resta dans la main. C’était inhabituel : j’ouvrai les yeux et me redressai dans mon lit.
En place de l’apparât était un trou, lequel m’apparut légèrement humide. Je le devinai profond ; mais de mon assiette je n’en voyais que le col : mes chairs intérieures.
Je reportai mon attention sur mon sexe déchaussé que j’empoignais encore. Il semblait être contenté. Des gouttes de sperme s’échappaient du bout du gland.
Il me sembla tout naturel d’ensemencer les quatre ou cinq nombrils vivants et chauds qui parsemaient le dessus de mes cuisses. Ils avaient dû germer et s’ouvrir pendant la nuit, inaperçus.
Je laissai couler au goutte à goutte le foutre dans ces nouveaux orifices. Ils me parurent frémir.







BRUITS.


C’est une grande ville ; beaucoup de gens y vivent et y passent.
Je suis ici en touriste, pour ainsi dire, et flâne à travers les rues et boulevards.
Il fait beau. Les gens parlent et sourient ; mais ce n’est le plus souvent pas à leur voisin qu’ils s’adressent, auquel ils préfèrent le téléphone.
Au bout du fil, amant, amis, maîtresse, fréquentations ou préférences, sans doute, peut-être, lesquels comblent une absence vécue comme une solitude. L’on se contente de peu pour éviter le silence. Ces voix lointaines et distraites à l’oreille évincent la foule, laquelle même importune par sa rumeur en bruit de mer et bruit de fond. Pourtant, si l’on écoute bien, et mises à part les voitures, celle-ci semble être la somme de toutes ces conversations imaginaires.
Quand on saisit l’occasion d’une coupure de ligne pour aborder quelqu’un dont la mine est avenante, les yeux deviennent durs, le sourire se crispe et disparaît, impatience et désagrément se peignent sur le visage, et l’on est bien tôt balayé d’une excuse ou pas même.
Les gens n’ont plus d’intérêt pour ceux qui les entourent. J’imagine qu’ils sont bien assez entourés, d’un petit cercle immuable et chacun à sa manière poli. Est-ce être fou que d’être curieux de rencontres ?
Là-bas il est moins de lumières, mais les humains y sont encore ouverts. Je retourne à mon village.







COMPTE-RENDU.


Ce fut un beau mariage.
Il y eut la mariée en robe blanche, la petite larme au moment de l’assentiment, l’église accueillant les impies, la bonne humeur des groupes fermés, beaucoup d’alcool et de nourriture, afin de rendre supportable la compagnie imposée par la numérotation des tables.
Il y eut le moment des complaisantes gratulations, le moment des sacro-saintes photos, le moment des discours et exercices aux agrès imposés, le moment de l’ouverture par les mariés du bal, le moment même sacrilège où une divine créature évinça dans la danse toutes ses meilleures rivales, le moment, enfin, de régler la note pour ce jour charmant qui déjà se termine et qui, malgré la certitude béate, entache du réel un joli rêve d’enfant.
Ce fut un beau mariage.







INITIÉ.


Ses bras dessinaient en l’air de curieuses figures : il ressemblait en cela à ces pantins désarticulés qu’on manie de sous la table. Il prétendait tuer le temps au moyen de ses doigts, lesquels ne lui obéissaient plus même au repos qu’avec effort.
Il disait accomplir les rituels pour affranchir tous les hommes, et mangeait de l’or en barre qu’il noyait de mercure. Un ardent brasier brûlait en lui, qui le consumait pour le sauver disait-il.
Ses yeux rayonnaient d’une lumière véritable, et son large front que marquaient quelques rides disait tout savoir. Il avait par sa science percé les arcanes de l’humaine connaissance, et quelque secret plus obscur encore dont il parlait à mots couverts.
Les symboles étaient par lui à la vie revenus, et les choses se montraient à sa vue sous leur triple forme, qu’il mêlait en lui pour renaître encore.
La vérité est qu’il était fat et vain, et qu’il avait peur de la mort.







LES HOMMES.


Le premier jour, dans ma chambre, je ne trouvai que deux hommes à mon réveil, lesquels demeuraient assis par terre, sur les genoux, front contre sol, dans une position de soumission, de révérence, ou de secret mépris.
Il sont à présent plus de cent et restent là, figés dans leur silence dont je ne sais la cause. On ne les entend pas même respirer.







PIERRE.


Le premier symptôme m’apparut alors que j’entrais dans la trentième année d’une vie très-réglée.
Dans mon enfance, laquelle se poursuivit au-delà de la jeunesse, l’on ne me permit aucun écart, fût-ce de conduite, de fréquentation, ou même de table : il eût été, si léger et innocent fût-il, sévèrement puni. Mes parents y veillèrent amoureusement. J’y veillai moi-même après leur mort, par devoir.
Je ne sais donc par quel moyen cette mystérieuse maladie s’infiltra dans mon corps. Les plus grands savants furent tous confondus, même si je trouvai le relat de situations similaires consigné dans un épais manuscrit de vélin du douzième siècle. C’était en latin.
Le vingt-troisième jour d’avril, au matin, la tasse de café que je tenais dans mes mains alla se briser au sol : mes doigts étaient durs comme de la pierre et en avaient pris la couleur grisâtre.
Avec le temps, le reste de mes chairs suivirent le même chemin, des extrémités et bords, vers l’intérieur.
Mon esprit et mon cœur par miracle seuls encore demeurent ; mais bientôt je ne serai plus que statue.







BELLE.


La femme que j’aime est la quinte essence du mal.
Je vis un véritable enfer, au point que celui qui n’est pas sur la terre me paraîtra doux, je crois. C’est, chaque jour, la nuit même ce pendant, tortures d’esprit et coups au corps, de manière si fine et retorse qu’on la jugerait perverse.
Mais la femme que j’aime est jolie comme le jour.
Sa mise et sa grâce naturelle ne souffrent nulle comparaison : à côté d’elle toutes les femmes sont laides. Elle m’a choisi et m’est fidèle, elle fait ma fierté et ma joie, et il faudrait me tuer pour que je m’en défasse.
En homme et esthète, la beauté m’est tout, et je n’ai que révérence profonde et attachement certain envers ses incarnations les plus parfaites, fussent-elles insupportables.
Mon goût et mes yeux sont mes tyrans et, ne pouvant changer à ma guise celui-là, je décidai de crever ceux-ci.
C’était sans compter cette image diaboliquement belle qui demeure gravée dans ma mémoire.







CŒURS.


Je l’aime ; mais il me répugne à ne pouvoir le toucher.
Sa figure et ses manières sont douces. Il est poli, propre, et sincère, plein d’attention et de prévenance. Au contraire des autres hommes, rien en lui n’est brutal.
La cour qu’il me fit assidu fut belle ; ses paroles touchantes, profondes et justes résonaient d’un pur amour, et trouvèrent un pareil écho dans mon cœur.
C’était Celui.
Nos premier mois furent chastes, car il était pudique, croyant, et maître de lui-même. Nous nous mariâmes en décembre. Jamais de ma vie je ne fus plus émue qu’en ce jour.
Mais au soir je découvris qu’un duvet, sombre et noir, recouvrait entièrement son corps.







MOTS.


Je n’oublie rien ; c’est un grand tort.
La parole qu’on dit et veut, la promesse tenue se font rares de nos jours. Faut-il en déduire l’invaleur du langage ? Concluons bien plutôt au parjure.
L’on se meut dans les mots comme dans quelque chose d’utile ; mais à sa pioche le mineur est fidèle. Des mots qu’on prononce la survie ne dépend ; mais de leur usage sûr, vie de confiance aux autres et à soi d’honneur.
Masques affables et paroles charmeuses, petits rien ou grandes merveilles : le trompeur et le faux sont en vogue. Les hommes veulent passer pour oublieux : ils ne sont que menteurs, car je me souviens pour eux.
Quand encontrerai-je celle ou celui à qui je pourrai me fier comme à moi-même ? J’aimerais avoir dans la tête autre chose que des paroles qui ne sont pas miennes.







MISSIVE AMOUREUSE.


Mes mains se fâchent de ne pouvoir vous saisir.
Vous m’occupez tout entier toute entière.
J’aimerais vous prendre, baiser vos tétins avec ardeur, vous dire à l’oreille les milles idées qui disposent de mon crâne nuit et jour.
Envoyez-moi, je vous prie, de cette huile dont vous vous oignez le corps, ou l’eau de votre bain que je la boive et m’en pénètre.
Mon sexe se languit du vôtre ; mon esprit fatigué voudrait entendre vos rires ; rien ne m’apaise que vos bouches.
Vos poils mêmes me manquent, et vos seins lourds.
Rien n’est plus beau que votre fatigue après l’amour, et la passion qui vous reprend en suite encore.
Vous êtes la ténèbre de mes jours, et la lumière qui me tient en éveil quand tout est obscur en mon tour. Suppliez-moi que j’accourre et vous viole.
Votre cul, lequel n’est, grands dieux ! plus si étroit qu’en nos débuts, me visite en somme et je rêve que je l’honore de trente manières.
Vous me contentez et m’épuisez tout à la fois. Je meurs de ce que mon corps ne peut indéfiniment satisfaire vos chairs belles et voraces ; je rougis de honte et de dépit d’avoir parfois à vous demander grâce.
De cela ne m’en veuillez, je vous prie, pas ; mais aimez-moi davantage.
Je m’applique à briser les détails et les barrières qui nous empêchent, et crois d’ici peu réussir à me faire passer pour mort, qu’on puisse enfin s’aimer au grand jour.
Qu’êtes-vous donc née ma mère ô mon amour ?







LIBERTÉ.


La psychanalyse a sauvé et illuminé ma vie.
À présent je sais les raisons du mal-être qui me gouverne : ce n’est pas ma faute. Je ne me tourmente plus au sujet de mes crises, de mes sautes d’humeur, de mes actions méchantes et malignes, de mes trahisons chroniques : elles sont celles d’un malade.
J’ai exposé précisément leurs causes aux personnes qui me sont proches, lesquelles se rassurent de savoir que ce que je fais n’est pas mon fait : ce n’est pas ma faute.
La coulpe revient à ma mère, à mon père, à mes professeurs, à ces hommes pervers qui ont profité de moi enfant. Ce n’est pas ma faute, car j’ai subi et n’y puis rien faire.
Quelle indicible aisance éprouve tout mon être, léger et enfin libre.







GUERRE.


Sortirons-nous jamais vainqueurs de cette lutte impitoyable ?
Ce sont les adversaires les plus redoutables que nous eûmes à affronter. Ils sont précis et efficaces comme des machines, et ne s’embarrassent pas de sentiments superflus qui pussent les détourner de leur tâche. Leur instinct de survie est incomparablement supérieur au nôtre.
Nulle tricherie, aucun biais ne se rencontrent dans leurs méthodes ; mais toute l’industrie et la ruse qu’il nous est possible de déployer ne sauraient endiguer leur progrès. Nos rangs s’amincissent à vue d’œil.
D’aucuns ont cru bon de se rendre dès le début des hostilités : ce leur fut préjudiciable, puisqu’ils sont morts. C’est une guerre d’extinction en laquelle l’un doit écraser ou bien périr.
Ils ont l’apparence de l’homme ; mais il est clair qu’ils n’ont rien d’humain. Je ne sais qui, le premier, s’aperçut de leur présence et la fit connaître au monde. Toujours est-il que, du jour au lendemain, toute relation de confiance entre deux êtres connut un terme : l’on ne pouvait plus se fier à quiconque, ceux-là fussent-ils notre ami d’enfance, notre compagne, nos parents, nos fils, leurs enfants.
L’humanité peut faire de grandes choses : les vestiges des siècles passés en sont la preuve. Toutefois, que peut accomplir un homme seul taraudé à toute heure par le doute, lequel même l’empêche de dormir et obscurcit sa raison ? Il est peu contestable que nous avons tué certains des nôtres, beaucoup peut-être, par incertitude.
La peur qu’ils distillent s’insinue dans chacune de nos cellules, et nous en viendrons peut-être à préférer mourir plutôt que de vivre plus longtemps cet enfer.







MIROIRS.


Toute ma vie on m’a confronté à une certaine image de moi-même : celle, dite innocente, que m’offraient les miroirs. Mon aversion pour ceux-ci n’a cessé de grandir.
Quand je croise des gens, j’ai l’impression de me trouver en face de leur reflet et d’être moi-même miroir. Cela ne m’amuse plus d’observer ceux-là se mirer avec attention dans ma personne, de les voir y quêter le moindre changement de leur humeur et se rejouir peu secrètement, quand ils y apercoivent une image qu’ils croient flatteuse, où ils pensent paraître à leur avantage, et qui les porte à la chérir plus qu’eux-mêmes par complaisance.
On aurait tort de croire que cette complaisance se borne aux objets qui entretiennent l’amour-propre : quand une grande douleur, une lassitude même nous touchent, on aime à vérifier, du coin sec de l’œil, que l’apparence concorde. Miroirs morts et vivants déchaînent les sentiments égotiques outre mesure, amour, haine, et toutes leurs nuances.
Il ne m’a pas échappé que toute relation méséante avec soi-même, laquelle n’a point même besoin d’être excessive, se fait au détriment du commerce qui se pourrait sincèrement nouer avec autrui. Maintenir un équilibre entre ces deux parts est nécessaire, dont l’essence et le fondement est de se pouvoir supporter, et dont la ressource se trouve en soi-même. Alors peut-on faire face à son image et peut-être en rire.
Pour l’heure, il m’importe seulement de briser tous les miroirs, que ceux-ci ornent nos murs, ou nos cœurs, et dût-ce jeter ceux qui les portent dans une confusion fatale ; car il faut être fort et vivre droit et fier.







DÉSERT.


Le monde n’est plus qu’un grand désert, et pourtant jamais il n’y eut plus d’hommes en nos terres.
Les révolutions de l’herbe et des abeilles se heurtent à des murs de chairs. Autour de chaque homme a crû des ramparts de pierre que nul soleil ne saurait faire fondre. Bruits et sons se figent à les toucher. L’eau aseptisée seule irrigue à grand’peine les canaux creusés en leur cœur.
On ne grandit plus : on s’épaissit, se fortifie, on s’abrite. La moindre intrusion est prétexte à guerre. La mécanique humaine est froide comme une machine, et comme une machine elle se délecte de son calcul, qu’elle sait précis ; édits et lois la protègent.
On construit des prisons, des potences, que l’on croit être des temples. La liberté n’est plus qu’un mot — plus même un rêve. C’est pour la paix de l’âme et du corps qu’on érige des barrières. C’est à ce prix qu’est le confort.







RONDE.


Le soleil descendait lentement dans le ciel, ainsi qu’en tous les jours de grandes douleurs.
Je ne saurais dire ce qui lors emplissait mon cœur. Toutes choses me semblaient immobiles et pourtant plus que jamais vivantes, les pierres même, et ce pavé foulé cent fois, ce nuage rouge apparu il y a quelques minutes à peine, la brise immatérielle dont la caresse arrangeait les feuilles d’herbe à sa guise, aux racines desquelles l’eau affluai avec force et précipitation, revigorant la terre, ses roches, les morts et les vers qui s’affairent en leur corps.
Tout grouillait d’un même élan, dans l’incessante ronde du vivant et du vécu, que je m’apprêtais à rejoindre pour m’en séparer et m’y fondre, une fois encore.







SOIR.


Il se tenait en tailleur, le dos voûté, les épaules en avant, vêtu de son kimono noir dont la douceur apaisait ses chairs. Les arètes des deux coudes touchaient table.
La paume de sa main gauche recevait dans son creux la mâchoire, et semblait seule soutenir son être.
La lumière mouvante qui émanait de la flamme laissait deviner les yeux immobiles et clairs, tournés vers l’intérieur.
La main droite allait et venait à intervaux divers du cendrier à la bouche, laquelle distraitement têtait, d’un plaisir sûr, cette dernière cigarette d’avant-somme dont le bout rouge vibrait comme la chandelle, et qui comme elle cesserait bientôt.
On pouvait entendre le crépitement de ce qui par le souffle se consume, et cette expiration qui par moments pouvait passer pour un soupir.
Dehors, les grillons chantaient dans la nuit sans nuage.







TOI ET MOI.


Pourquoi ne lui suffis-je pas ? Qu’ai-je fait de mal ? Que me manque-t-il ? Et quoi changer ?
J’apporte soin et attention à la confection de ses repas. Si je n’étais pas là, il ne mangerait que des pizzas surgelées et des rations prêtes à consommer. Il engloutit mes plats sans un merci : c’est preuve qu’il les aime et n’est rien que normal.
À chaque fois qu’il fait une remarque désobligeante à propos de mes habitudes, de mes réactions — quand, par exemple, sans un coup de fil il rentre tard ou ne rentre pas et que je le lui reproche ; ou quand je stigmatise la malpropreté dans laquelle il se complaît —, j’acquiesce, demande qu’on m’excuse de m’être emportée et veille à me corriger.
Je tâche de ne lui jamais déplaire, et à cette fin le laisse libre de disposer de ses jours et de ses nuits. La solitude m’est pourtant insupportable ; mais c’est à ce prix qu’est l’attache.
Je veille, à ma manière, à me rendre indispensable : je lui suis un soutien de tous les instants, je l’aide dans ses travaux, dont il ne peut plus seul venir à bout, et suis son seul conseil, un exutoire même, dans ses moments de détresse ou de colère.
Je suis patiente : cette histoire est ma vie, et plutôt tout souffrir que de me retrouver seule. Y mettre un terme m’est impensable. Je lui suis toute entière dévouée, à n’en plus dormir. Il est heureux que nous nous retrouvons, en cela que nous aimons tous deux nous lever tard.
Il est bien sûr des choses qui me sont pénibles. Le sexe en fait partie ; mais je lui cède de temps à autres, par amour. Il se fait par ailleurs de moins en moins pressant, ce qui, je l’avoue, me soulage et m’allège.
Il m’est agréable, aussi, de voir que je ne suis la seule à faire des efforts, et qu’il redouble parfois de charmante attention. Qu’il ait fait le ménage avant mon retour du travail, que m’attende un repas aux chandelles ou une bague, une boucle d’oreille, une rose même, ou qu’il m’invite au restaurant, et voilà que le reste du jour pour moi s’éclaire, car toutes ces choses sont bien les preuves de son amour — n’est-ce pas ?
Il est vrai qu’il m’est arrivé de douter de sa fidélité. C’est un bonheur pour moi qu’il ne sache mentir vrai : je peux ainsi habilement — car je le connais mieux que toute autre — le prendre en défaut, et à coup sûr savoir ce que ce maladroit me cache. Rien de grave n’est jusqu’ici arrivé : ses angoisses et réponses sont celles d’un enfant à qui l’on voudrait enlever un jouet. Je comprends qu’il ait quelque peine à s’habituer aux devoirs de la vie de couple et qu’il veuille de temps à autre s’en excepter.
Des rumeurs inquiétantes et des calomnies me parviennent parfois ; mais ce sont les œuvres malignes de personnes jalouses, malintentionnées, qui tentent en vain de nous séparer.
Nous attendons tous deux avec impatience l’heure où nous aurons des enfants, car alors notre couple sera complet, et je pourrai enfin quelque peu me reposer.







ANNONCE.


JH achète ou vend, pour prix modique, affection et tendresse.
Que l’affinité n’influence pas la somme convenue.
[Pas de numéro de téléphone.]







HISTOIRE.


Cette histoire eut un commencement pareil à celui de la plupart des histoires de ce genre : un éblouissement, une parole et de nombreuses nuits de veille au corps à corps.
Elle dura un temps indéterminé et pourtant certain.
Elle eut ses hauts ; elle eut ses bas. Tout se passait plutôt bien et résonnait d’un accord sensible.
Elle eut une fin pareille à celle de la plupart des histoires de ce genre : d’un ridicule féroce.
Il n’en fut qu’un des deux qui s’en souvint un temps.
Puis l’oubli repris son règne, imperturbé.







QUESTION.


Qui donc en société pourrait m’aimer encore ?
Mes dents tombent gâtées une à une. Mes cheveux s’en vont par touffes. Ma peau sous l’éponge s’échevèle : sang et pus seuls demeurent. Mes yeux sont vitreux ; je ne vois presque plus, ce qui n’est pas un mal. Mes mains se résolvent en moignons, lesquels gagneront bien tôt mes coudes. Mes intestins sortent au dehors de mon cul. Je ne peux plus vraiment parler. Mon sexe même, putrescent, est corrodé par l’urine qui s’en écoule en continu. Une articulation, ou un os, se brise au moindre mouvement, me condamnant au repos dans mes propres excréments, si je veux durer un peu plus long temps.
La vie est dure sous nos hémisphères, si l’on ne cède au mouvement de l’âme qui se rassure.







DÉLUGE.


Si l’on porte foi à l’avis des gens de science du demi siècle dernier, Dieu fut étranger au second déluge qui abattit sur la terre : les hommes et leurs erreurs en seraient responsables ; mais le faisceau des causes est plus qu’obscur.
On eut assez de temps pour contruire de nombreux navires. Néanmoins, une part minime de l’humanité, dont on ne connaît l’exacte proportion, put seule être sauvée, car la désinformation qui suivit les premier signes du fléau et qui n’avait pourtant pour but avoué que de limiter l’extension de la panique, prit au piège les habitants de l’intérieur des terres.
Ceux qui préférèrent emporter de l’or plutôt que de la nourriture furent les premiers à mourir. La faim se fit partout sentir à terme. De violentes rixes éclatèrent, dont le prix n’était souvent qu’un quignon de pain. Nous fûmes bien tôt réduits à rogner les cadavres de nos pairs.
Les bribes de technologie emportées en hâte à bord s’avérèrent sans utilité aucune. Les machines, lequelles étaient pourtant le pilier de nos sociétés, privées de quelque source d’énergie, cessèrent de fonctionner. Par ailleurs, la mécanique jamais ne fit bon ménage avec l’eau. Toute communication à distance fut en temps impossible. Les uniques contacts que deux bâtiments peuvent à présent opérer se résument à l’abordage, à la saisie et au meurtre.
Un mal plus grand encore depuis peu nous touche, que nous n’avons su prévoir : la pluie semble avoir résolûment cessé. Si, pour se satisfaire, la faim avait corrompu les cœurs, la soif nous ôte maintenant même l’espoir.







SENS.


Je ne comprends plus un seul mot de ce que disent les gens.
Au premier jour cela ne concerna que les concepts et les termes abstraits. Tout mot ou phrase que je ne pouvais me représenter me semblait d’une langue résolûment étrangère. Je pensais mal entendre et faisait se répéter mon interlocuteur ; mais rien n’y fit.
J’étudiais alors la philosophie : je dus interrompre la lecture des livres commencés la veille car, faute de comprendre un mot sur trois, le sens de chaque phrase m’échappait. Les dictionnaires ne me furent d’aucun secours.
Les mots disparurent un à un de mon vocabulaire.
Je me vis rapidement dans l’incapacité de communiquer avec mes semblables autrement que par le geste. Cela même eut un terme. Mon isolement fut grand, mais supportable.
Il ne m’est plus de sens nulle part, choses seules, lequel pourtant gouverne le monde des hommes.







ATTENTE.


Peut-être aujourd'hui passera-t-elle le seuil de cette porte.
Je tressaille à chaque bruit dans le couloir : de l’intérieur on peut tout entendre. Mes clefs se trouvent encore sur son trousseau.
Qu’elle ait déménagé ne doit, je pense, rien changer à notre affaire. Nos liens sont si profonds, les racines de chacun si clairement enfoncées dans l’autre que je ne saurais dire ce qui la retient. Tant de choses empêchent nos désirs : il faut savoir attendre.
Je l’attends chaque minute du jour. Je me permets de dormir, car, ayant le sommeil léger, je l’entendrai venir, quelque soit l’heure. Toutefois, je ne m’absente de ma demeure qu’en cas de seule stricte nécessité, et cela à contre-cœur. J’ai tôt fait de rentrer.
Mon appétit est faible ces jours-ci : je dois couver quelque rhume.
Personne ne semble l’avoir vue récemment. Je ne réponds plus qu’aux coups de téléphone qui viendraient d’elle et que j’attends, encore. Il est néanmoins fort improbable qu’elle m’appelle, n’ayant jamais eu ce mode en affection.
J’ai encore quelques uns de ses vêtements, quelques produits de toilettes, une brosse à dents, qu’elle a laissés avant de partir. Ç’a toujours été une tête-en-l’air. De son côté, elle possède encore des livres qui lui furent par moi prêtés : elle ne manquerait à me les rendre.
Mes nerfs sont à vifs. Je ne devrais pas tant m’inquiéter : c’est une grande fille, et débrouillarde, qui plus est. Peut-être passe-t-elle plus de temps avec ses deux amis qui, quoi qu’ils disent, en sont amourachés — je n’ai jamais pu les supporter, même en pensée. Il en est un que je ne connais pas même.
Quelque chose, quelqu'un doit la retenir.
Car une promesse est une promesse.







CHEMIN.


Je marche dans la ville à la recherche de ma maison.
À fin de découvrir de nouveaux quartiers, j’ai une fois changé le cours de mon chemin : je l’ai perdu.
La nuit, je revois en rêve son visage, je surprends ses yeux fixés sur les miens, et lui demande, embarrassé, de ne pas me regarder. Elle me gourmande d’un sourire.
Les rues se ressemblent toutes ; aucune figure à laquelle je pourrais me raccrocher. Je ne sais où je vais, et tous disent ne connaître ma route.
Elle doit encore dormir à cette heure : qui la réveillera si je ne rentre pas ?
Chaque soir est un peu plus froid. Le soleil est bas ces derniers jours. Ce doit être bientôt l’hiver. Que n’ai-je emporté une pelisse ? Après ça vient le printemps, et les arbres reverdissent. Puis tout recommence.
J’espère qu’elle a pensé à la purge des radiateurs, qu’il faut bien préchauffer le four, à répondre aux lettres en attente, une seule dose d’adoucissant suffit, les impôts, prendre soin de soi.
Je ne dois pourtant pas être très loin ; mais la ville est vaste, un labyrinthe de ferraille et de pierre où tout est mort. Où donc est ma demeure ?
Que quelqu'un m’aide et qu’elle m’attende un peu encore.







INSENSÉ.


Ma vie n’a aucun sens ; mais ça me va.
Il importe seulement de se tenir à flot. Je m’occupe à m’occuper. Je viens et vais, libre et attaché.
Il va de soi que de nombreuses sociétés ne me souffrent pas.
Ma vie fut-elle toujours ainsi ? Je ne saurais dire.
Je ne dis pas que ce n’est pas dur, parfois. Et parfois je me souviens des anciens temps, et aimerais des amis, aimerais être amant.
Je donnerais tout, en certains jours très seuls, pour pouvoir suivre les règles, me river aux choses autant qu’aux gens, avoir un but, un travail, une femme, des enfants.
Mais il faudrait m’éteindre en plus d’oublier. Je ne puis faire ce choix.
Patientons, tenons-nous à ces riens : la fin saura bien me trouver.







IMAGES.


Il m’arriva une chose des plus étranges qui fussent.
Un soir je m’endormis, et me réveillai en cours de rêve. Je me rêvais faisant l’amour à D***, laquelle me plaisait beaucoup, mais que je n’avais encore touchée.
Alors que la réalité reprenait peu à peu ses droits au sein du brouillard imaginaire de ce demi-songe, je réalisai que j’étais effectivement étendu sur D*** et lui caressai le sexe, mon visage enfoui au creux de ses seins.
Je me rendis compte de la vague impossibilité de la chose : depuis deux ans, M*** partageait sans faute ma couche.
Je me troublai pour une obscure raison, et débandai dans l’instant où ces deux images se confrontèrent. Toujours dans un demi sommeil, je me rendormis bientôt.
Au réveil, je doutai des événements de la nuit, lesquels pourtant s’imposaient à mon corps. J’oubliai la chose et retournai à ma vie sage. Un fossé étrange s’était néanmoins lors creusé entre M*** et moi.
D*** devint mon amante un peu plus tard dans l’année, après un mois d’une cour assidue, laquelle, fastidieux rituel tenu pour nécessaire, n’est pourtant qu’une douteuse relique d’autres ères sombres et barbares, dont plus personne ne sait le code.
Le terme de ce temps où nos corps apprennent à se connaître et se font l’un à l’autre arriva vite, car ne me quittait pas l’impression de déjà le savoir.
J’eus bientôt un rêve étrange, et bien d’autres depuis lors, qui semblaient m’indiquer ma prochaine compagne et qui, pour m’en donner le goût, m’en offraient une part.







CHAIR.


Le plaisir de la chair est incomparable à quelque autre. Il m’est une véritable obsession et fièvre qui me gouvernent à leur gré.
J’ai la chance d’être beau, de plaire au plus grand nombre, d’avoir la voix douce et d’inspirer confiance. Je mène de front des dizaines d’amours, lesquelles pourtant me laissent inassouvi et ne me suffisent plus guère : la part de mes amours mercenaires grandit et m’assure un gibier toujours plus divers.
Qu’on ne se méprenne pas sur les termes que j’emploie : plus que tout j’aime les femmes, les mener à jouissance, leurs cris de plaisir et soupirs pudiques, inrégissables. Leur sexe est le plus propre à l’esclavage des sens.
Nous sommes certes en des temps de maladie et de carnet de santé ; mais c’est la nature et l’animal qui parlent en moi. Rien ne sert de se contraindre.
On me dit qu’il faut être fidèle ; mais qui plus que moi leur donne du plaisir ? Je pense à tous ces maris maladroits et, plutôt que de plaindre leur femme, je la prend à eux et lui offre ce que sans moi elle n’eût eu jamais. Elles me reviennent comme ces papillons se jettent dans la lumière pour s’y brûler encore.
On dit que c’est une affaire de sensibilité, non d’expérience : je possède à foison ces deux qualités. Le sexe n’a pour moi plus de secret, et pourtant jamais il ne semble que je sois rassasié de ces seins, de ces sexes, culs et tétons, de ces visages femelles illuminés desquels se retire la raison, en faveur du feu.
Quand je ne pourrai plus séduire, je me tuerai plutôt que de voir ces milliers de filles par d’autres possédées.







INFORMATION.


La télévision me donne le monde comme un roman ; mais mieux encore, c’est la vie même, arrangée, qui s’y donne à voir.
Il est trop de matériaux bruts au dehors, parmi lesquels maints déchets trouvent place. La télévision remplit cette tâche hasardeuse qui consiste à trier, ordonner, classer, délivrer la vie pleine, vibrante et vraie.
L’on n’aurait assez de vingt temps de vie pour vivre ce qu’on y voit en un jour. Naissances, mariages et morts ; joies, jalousies, guerres et paix ; froideur, chaleur, indifférence ; sexe, eau-de-rose, amours et ironie : c’est l’humaine expérience dans sa totalité qui est intelligemment sommée dans cette boîte de plastique, de verre et d’électricité.
Il faut ajouter à cela que c’est un livre de sons et d’images qu’on ne saurait méprendre ; car les morceaux choisis s’accompagnent de résumés, notes et critiques, lesquels nous sont autant de guides dans cette jungle de l’information, avec soin taillée en larges avenues. C’est en vérité une douce invention.
Ce n’est donc pas étonnant que m’a quitté toute envie d’abandonner mon fauteuil, dans lequel même je dors.







AMBITION.


L’ambition est une funeste passion. C’est une formidable chose en vérité, qui brûle en moi d’un feu sombre et discret, lequel consume mon âme et la perd, et me fait chaque jour un peu plus seul au monde.
Je vois mes amis sincères s’éloigner de moi à mesure que mon empire s’accroît. Ceux qui demeurent n’en sont plus, n’en sont pas, et me suivent, calculateurs ou couards, comme ils suivent leur intérêt : il est sauf et profitable de courber l’échine et à mes pieds recueillir les dépouilles que je laisse dans mon sillage.
Il est vrai que nul n’a mon estime et que ceux qui la pourraient gagner s’attirent mon ressentiment à refuser mes présents. Du reste, les vents tournent vite dans les têtes. Nuit et jour une rebelle et traître rumeur murmure à mon oreille. Non sans raison je me défie de tous.
J’ai levé les obstacles et réduits mes adversaires à l’impuissance. Ma seule faiblesse est la paire d’heures journalière et réservée au sommeil que m’impose mon corps. Plus rien désormais ne se dresse entre moi et le monde, pas même les dieux.
Mais ce qui me conduit est ma perte, car qui m’aimerait pour autre chose que le pouvoir, les honneurs et les femmes — pour ce que je suis au dessous de l’or et de la gloire ?







MENSONGE.


À quoi pense-t-elle donc ? Il semble qu’aucun des mots qui s’échappent de sa bouche ne trouve appui sur l’intérieur.
Parler franc est parfois difficile ; jamais ce n’est un mal. Tordre quelque peu son propos est par moments nécéssaire, si l’on veut ménager l’attachement de ceux à qui l’on tient ; car oui la franchise peut blesser notre amour-propre, lequel s’est pris d’habitude pour cette robe de sucre et de couleurs dont on drape nos pensées. Toutefois, de l’arrangement au mensonge il est un monde.
Je ne sais ce qui motive en elle ces mensonges minuscules qui font au moins autant de tort qu’une grande trahison. Il est plus fâcheux encore qu’elle ne sache mentir. Quand bien même, mentir c’est s’exposer à être découvert, ce qui ne saurait à terme manquer, car toujours quelqu’un sait. C’est le juste retour de la parole à l’oreille.
Il est intéressant de noter que la personne prise en mensonge, au lieu de s’en vouloir à elle-même, tourne son ressentiment envers l’impudent dont le tort fut de lever le voile, celui-là fût-il son amant, son mari, son ami ou tout cela à la fois.
Elle est ceux qui usent des petits mensonges par l’autre découverts comme d’une forêt dense où cacher les grands. Ceux-ci seront à terme eux aussi mis en lumière. Ils blessent jusqu’au fond de l’âme, car ceci nous frappe comme une révélation : l’attachement et la relation humaine sont fondés sur du vide. L’estime ne saurait être sans confiance, et celle-ci ne saurait être sans franchise.
On peut bien entendu choisir d’être sourd, et vivre en lâche.
Pour ma part, j’attends encore celle ou celui que je pourrai voir en égal. C’est une illusion qui m’est tenace, mais sans laquelle je ne pourrais vivre.







REGRET.


De mon enfance je n’ai pas de souvenir ; ma vie étudiante passa sans vraiment que je m’en rende compte ; je m’efforce à me distraire de celle qu’à présent je mène, censément laborieuse, sérieuse et pareille à tant d’autres.
La fuite que j’ai trouvée me remplit de grandes joies, de douces tristesses, de réflexions, de mélancolie dès que j’en sors : je lis des histoires de lycéens. Je ne sais plus quand cela a commencé ; mais il est certain que cela continue.
Pour être précis, ce sont des bandes dessinées japonaises. Il semble que les auteurs et les écrivains occidentaux n’aient point cette nostalgie de leur vie d’avant le travail, ou qu’ils ne montrent pas leur sentiment véritable, par pudeur peut-être, ou rejet de ce qu’ils considèrent comme une faiblesse. Peut-être le saut dans la vie active au Japon est-il plus rude là-bas qu’ici ; peut-être que là-bas afficher ce regret d’un temps insouciant et pour une part plus libre n’est pas un tort. Je ne peux me résoudre à penser que je suis le seul à sentir ainsi, car je ne puis croire qu’on se satisfasse de la vie adulte qu’il nous faut bien mener.
Ces récits sont emplis de toutes ces choses que je n’ai vécues. Oh, j’ai bien vécu les agréments des connaissances collégiennes, les peines de plusieurs amours frustrés et sans retour, et senti après-coup la convénience d’un emploi du temps pour moitié réglé ; mais c’est à peu près tout : nulle grande complicité, nulle sortie entre amis, nul rendez-vous qu’on attend le cœur en chamade, nulle situation délicieusement équivoque, nul amour fortifié par le côtoiement et l’attente, qui se mue en grande joie par la découverte de la réciproque, nulle vie de famille remuante non plus, nulle chaleur, nulle envie.
Tout me fut désespérément fade, moyen et tranquille.
Je sais que l’on ne se satisfait jamais de ce que l’on a, que la vie n’est pas un roman, et que tous ces récits qui me captivent ne sont que des fictions ; mais toutes ces années sont irrémédiablement passées. Tout le monde et personne ne porte la faute de la manière dont elles le furent, et l’on n’y peut plus rien faire.
Il est amusant que ce soit un regret qui aujourd'hui me porte, et que je vive par procuration une époque que je vécus en spectateur. Au fond, rien n’a changé.
Je ris et pleure de concert avec des personnages imaginaires.







BELLES CHOSES.


La beauté est une chose complexe. On me dit que c’est un concept ; mais un concept n’a pour moi aucune réalité. Ce qui ne me renvoie à rien, ce qui en rien ne m’interpelle, n’existe pas : c’est une forme vide. La beauté…
Afin que ce mot me veuille dire quelque chose, il suffit que je m’interroge : qu’est-ce que pour moi la beauté ? quand dis-je d’une chose qu’elle est belle ?
Une scène un jour me marqua profondément. C’était tard le soir. Il neigeait. Je passais sous les lumières alternées des réverbères. Dix mètres devant moi, une vieille femme se fit attaquer : probablement un vol. Elle résista : l’agresseur lui enfonça son couteau dans la gorge. Je dus m’arrêter de marcher tant mon esprit fut frappé : la vieille femme tomba sur le dos, mains à son cou, dans un râle ; le sang giclait par bouillons sur ses vieilles mains pleines de rides, et sur la neige autour. C’était d’une beauté fulgurante.
Belles aussi les ecchymoses sur un petit visage frais et rose. Belles les grumelles de merde qui coulent d’un intestin ouvert. Belle la figure de ma mère sur son lit de mort, décharnée par un long cancer. Beau, le fait de prendre le bras d’une femme enceinte à fin de l’aider à traverser une route embouchée d’un traffic dense et de bruit. Beau, le fait de passer son savoir et son expérience à de jeunes bambins, lesquels me remercient d’un sourire fier et enjoué. Belles aussi leurs larmes de douleur et la supplication au fond de leurs prunelles.
On me dit que non la beauté ce n’est pas cela, que je suis un exemple typique de la maladie qui gangrène notre siècle égotique et le langage en ramenant tout mot à soi. Ce ne sont que discours de pédants et d’insensibles.
Je sais.







JALOUSIE.


Je ne peux plus même dissimuler la frustration qui m’envahit lors qu’elles lui tournent autour.
Oui, c’est un bel homme ; mais c’est le mien.
Je vois bien que ces nuées d’insectes, trop colorés pour être sincères, lesquels d’ailleurs n’en veulent qu’à son fric, qu’à son cul, flattent sa vanité d’homme mûr. Oui, il plaît toujours. Mais il ne sait que les femmes sont prêtes à tout.
Les hommes sont de créatures simples qui, dans le feu des choses, ne voient pas plus loin que le bout de leur bite et que les seins de leur voisine. C’est la force des hormones : ils sont bien incapables de leur tenir tête. C’est pourquoi je le protège.
Il est vrai que c’est prétexte à maintes brouilles ; mais toujours il me revient. Je sais qu’au fond il m’est fidèle : sur ses grands dieux et sa défunte mère il a juré. Cela fait d’ailleurs tant de temps que nous sommes ensemble. Et c’est de moi qu’il veut des enfants. Je le connais mieux que personne.
Je leur arracherais quand même bien à toutes les yeux ; mais je saurai être patiente.







ARRIVÉE.


Il se fait tard, une fois encore : l’aéroport ne compte plus que de rares membres du personnel d’entretien.
Ce fut pour moi, la première nuit, une grande surprise, car j’ai toujours cru qu’en l’absence de vol le lieu était désert, et ses portes closes.
Je tente de ne déranger personne qui soit dans l’exercice de sa tâche. Personne ne semble par ailleurs préoccupé par ma présence, à laquelle ils semblent s’habituer.
C’est la troisième nuit que je passe assis sur une de ces chaises incomfortables du terminal des arrivées. Si l’on croise ses jambes d’une certaine manière, la station est même tout à fait supportable.
J’ai remarqué qu’un grand ventilateur se met en marche tous les soirs, et ne cesse son activité qu’au matin.
Un de mes amis était censé arriver mardi, à vingt-deux heures et trente-six minutes. Une demie heure est une estimation vraisemblable du temps nécessaire au débarquement, à la récupération des bagages et au passage des douanes tout à la fois. Je m’attendais donc à le voir paraître devant moi vers vingt-trois heures et dix minutes.
« Attends-moi donc dans la salle des arrivées. »
Je convins que c’était le point de rendez-vous le plus commode, et ainsi en avions-nous décidé, par téléphone, juste avant sa montée dans l’appareil.
L’atterrissage de son avion fut confirmé, avec un retard négligeable, par les larges panneaux d’affichage devant lesquels j’avais pris place.
Mes yeux sont restés rivés à la porte par laquelle il était censé passer. Est-il possible que je ne l’aie pas reconnu ? — non, bien sûr : les traits de sont visages sont gravés dans ma mémoire, et il est très improbable qu’une année de séparation les ait pu sensiblement altérer.
C’est la première fois qu’il vient me rendre visite depuis que j’ai déménagé. Il n’a par ailleurs jamais posé pied dans ces contrées avant cela. Il serait irraisonnable que j’aille à présent l’attendre ailleurs.
Les néons fatiguent mes yeux ; mais que se passerait-il si je m’endormais, et qu’il arrivât ce pendant ?







CIEL.


Le ciel me manque, et l’horizon, l’azur, les vertes prairies des Monts Isolés.
Que reste-t-il des temps desquels on se plaignait ? En deux cents ans tout a changé.
Des tours gigantesques ont crû peu à peu, à l’ombre desquelles les rues sont droites et baignées d’une lumière artificielle qui supplée à celle du jour. Au zénith, quelques centimètres carrés de ciel seuls subsistent ; mais pour le voir encore faudrait-il lever les yeux, et la tête.
Je me souviens surtout de ces pluies chaudes de fin d’été, dans lesquelles on demeurait comme dans un bain. Elles rongent à présent la peau de ceux qui s’y exposent.
La vie est peut-être meilleure en haut de ces tours. Peut-être leurs tapis sont-ils faits d’herbes vivantes.
Les moustiques même me manqueraient presque.
Serait-il seulement possible de tout recommencer ?







LA ROUTE.


Il est surprenant qu’on ait construit des autoroutes dans ces régions désertes.
La nuit est tombée. Cela fait plusieurs heures déjà que ma voiture n’en a croisé aucune autre : rien que du bitume mal éclairé et les innombrables pins qui le bordent.
Les phares du véhicule découvrent à mesure la même scène monotone. De temps à autre, dans un éclair, j’aperçois indistinctement, à terre, une tache brune, laquelle n’est probablement qu’un animal écrasé.
Toutefois, ce serait mentir que de dire n’évoluer qu’entre arbres et route. Toutes les demi-heures, sur le bas-côté, se rencontre un de ces vieux motels surplombés d’un néon blanc (où l’on lit : MOTEL), au côté duquel, en contre-bas, un néon rouge indique, sans que cela soit une surprise : VACANCY. Tous se ressemblent presque exactement, où offre et demande ne s’égalent guère.
Une chose pourtant m’intriguait, au point que je me suis livré à un petit jeu et délit mineur. Je ne pouvais m’ôter de l’esprit que ces motels se ressemblaient trop exactement.
Afin de faire disparaître le doute grandissant et absurde qu’en fait je tournais en rond et que ces motels n’en étaient qu’un seul, je me suis arrêté au dernier croisé, le temps de briser, de la manière la plus discrète, le « N » de l’enseigne rouge. J’ai rapidement repris la route.
C’était il y a bientôt une demie heure : je ne devrais tarder pas à dépasser le prochain. Au moins en aurai-je le cœur net, et l’esprit un peu plus libre.
Le voici.







LE CAR.


Les gens tour à tour montent et descendent, en flots irréguliers comme vomis d’une bouche.
C’est une multitude parfois, parfois un seul, ou pas, qui d’un pas pressé disparaissent dans l’ombre chaude du métal caravane, ou dans l’air ensoleillé des champs de juillet.
Autour de la frêle construction qui tient lieu d’arrêt de bus s’inventent, à certains crépuscules, de joyeuses fêtes où l’on rit pour se tenir éveillé. L’on trompe ainsi l’attente et veille à ne manquer pas la venue du car.
D’aucuns même, grassement payés par les voyageurs les plus fortunés, organisent des rondes et tours de garde. Ils guettent les véhicules à l’approche et crient le numéro des lignes dès qu’ils les peuvent apercevoir. À ce moment précis, un grand silence se fait.
Il est heureux que tout le monde profite de leur bruyante annonce, car on ne saurait manquer de s’assoupir, quelque résistant qu’on fût.
Le service de transport ne compte pas de temps mort ; l’ordre de passage des cars semble aléatoire.
Une architecture gouverne peut-être la chose ; mais qui la pourrait dire ? Nous ne nous trouvons, après tout, qu’à un petit arrêt de campagne : il faudrait remonter jusqu’à la ville.
Je doute que ceux qui parviennent à destination s’encombrent de préoccupations semblables, lesquelles sont tout juste bonnes à occuper l’esprit de ceux qui comme moi aimeraient enfin dormir.







ÂMES.


Toute chose a une âme, et celle-ci est à l’image de celle-là.
Il en est de même pour les hommes.
Sous le vernis des crèmes et lotions, se trouve l’âme à fleur de peau, laquelle épouse celle-ci d’une parfaite manière. On taille son âme en taillant sa barbe ou ses ongles de pied, en s’épilant les sourcils, en gagnant un bonnet de soutien-gorge, en perdant un bras ou un œil, en prenant du ventre, des fesses ou des cuisses.
C’est pourquoi rien de cela ne doit être fait inconsidérément : notre être s’en ressent. La volonté taille l’âme, comme le jardinier taille avec soin et science un arbre miniature.
De plus, on croit communément que nos pensées inouïes, nos paroles dites à part, nos actes irremarqués ou de certains insus, ne nous touchent que modérément.
On croit également que nos choses publiques nous affectent plus que nos choses secrètes. C’est vrai, pour une part, car le regard et le jugement des autres ne sauraient laisser en nous aucune trace : ils peuvent tuer ou nous rendre meilleurs.
Toutefois, penser, dire et agir taillent l’âme tout autant, car ce sont les manifestations, volatiles plus ou moins, de nos volitions. Celles-là façonnent notre âme plus profondément encor, car elles altèrent le corps à même le corps : nos pensées, paroles et actes laissent maintes cicatrices sur notre visage, nos mains, et toutes parts. Certaines de ces cicatrices sont belles comme le jour ; d’autres sont d’une laideur repoussante.
Partout je ne vois que des enfants verts ou noirs, incolores même, naïfs, retors, ou fermés par la préoccupation, vils et méchants parfois. Nulle part encore je n’ai rencontré de belle âme à laquelle j’eusse voulu me lier.







NUIT.


La jeune fille s’était enfin assoupie. Sa respiration, à présent apaisée, pût être l’étalon nouveau d’un temps d’après-guerre, et d’avant-songe.
Qu’est-ce qui m’a poussé à rechercher la compagnie d’amours mercenaires ? Cela ne se passa pas même ainsi. Hasard des rencontres inextrêmes et fortuites.
Les longs cheveux d’ombre glissaient sur l’oreiller.
J’aurais toutefois pu le deviner : personne n’aborde plus personne de nos jours, surtout pas à la tombée du soir. Cela n’empêcha pas mon cœur de battre plus fort.
Le visage pur et clair semblait de lait sous la lumière du réverbère, laquelle, malgré les rideaux, passait par la fenêtre dans la pièce éteinte.
Quel âge peut-elle avoir ? Est-ce le besoin qui l’amène à se vendre ? ou la contrainte peut-être, l’amour. Peut-être rien n’a-t-il plus d’importance.
Elle toussa légèrement, puis plus fort : les cheveux tombés devant sa bouche volèrent par saccades. Elle gémit.
Douces tentacles animées de cendres noires. Un rêve, c’est probable. Je lui demanderai ce qu’elle compte faire, à son réveil.
Elle se retourna à demi, tout en ne lâchant pas la main qu’elle tenait serrée comme un étau.







SONS ET SILENCE.


Je ne suis pas né sourd et muet. Lors d’un innocent jeu d’enfant, je reçus une pierre à la tête et fis une chute de quelques mètres, lesquels suffirent.
Ce grand silence est étonnant. Toutes ces choses et tous ces êtres qui tout à coup cessèrent de bruire ou de parler.
On s’en remet, sans que cela cesse de nous manquer. Je ne ferme plus les yeux pour écouter mieux. Des paroles et des sons résonnent encore dans ma tête, parfois, sans que je sache si ces souvenirs me trompent. J’ai oublié la plupart des bruits.
Au fond, c’était mieux ainsi.
L’ouïe est comme l’odorat : aisément polluée. On peut ne pas écouter ; mais on ne peut pas ne pas entendre — comme on ne peut pas ne pas sentir.
J’ai recouvré mes sens grâce à une coûteuse opération.
Au réveil, l’agression fut telle que je me percai les tympans.
Tout va bien maintenant.







LE MIROIR.


Derrière le miroir, il n’y a qu’un mur, puis l’intérieur du mur, une autre pièce ensuite, un autre mur — la maison finit là — et l’air libre, pour ainsi dire.
Parfois pourtant, comme dans les contes de fées ou dans de plus terribles histoires, il me semble que ce qui se reflète dans la glace n’est pas exactement ce qui l’entoure.
Illusion d’optique ! — me répondra-t-on. On rira de moi et de mes idées fantasques. C’est pourquoi je me tais.
Parfois pourtant les choses y bougent, les couleurs y virent, les nuages y avancent un petit peu plus vite que dans le ciel. L’heure n’y semble pas la même.
Parfois même j’y entends une voix qui appelle — Quelqu’un, quelqu’un ? Est-ce que quelqu'un m’entend ? — Ce n’est qu’un murmure, un souffle.
C’est un très vieux miroir, en pied, dont les portants de bois furent refaits au Dix-Huitième.







DE SOUS LE LIT.


La dernière fois que je vis maman, ce n’était pas vraiment ma maman.
L’étonnement et la stupeur passés, elle fixa sur moi des yeux où se mêlaient incompréhension et doute. On aurait dit qu’elle avait très peur.
J’étais accroupie sur mon lit, ma poupée tout contre moi.
Elle recula en rampant contre le mur, sans jamais me tourner le dos.
La moquette était de plus en plus noire, ou rouge très foncé.
Son bras gauche était à mi-chemin entre elle et moi.
Je lui avais pourtant bien dit de laisser tranquilles les choses sans forme qui habitaient depuis quelque temps dessous mon lit.
Elles sont sages quand on est gentil avec elles.







REGARD.


Sa bouche est large, ronde et froide. Elle prend la chaleur qu’on lui donne.
Les mains se rafraîchissent vite au contact de son corps, à mesure que celui-ci s’attiédit. Il me fut rarement donné de voir des formes aux courbes si parfaites.
Sa rousseur mouvante est en splendeur inégalée. L’œil seul suffirait pour en jouir. C’est une masse épaisse, sans cesse mouvante, aux reflets inattendus, blonds, rouges et bruns, noirs presque parfois.
La plus infime variation de lumière suffit pour qu’une face nouvelle de son être s’offre au regard attentif. Elle est toute entière un monde changeant, — altière et musicale, belle.
Une impression de corse et de pique demeure sur la langue longtemps après qu’on a fini son verre.
C’est vraiment une bonne bière.







FRÉQUENTATIONS.


Il fait un temps magnifique aujourd’hui.
Demain, cela fera trois semaines que je n’aurai vu personne.
Il est vrai qu’ils sont tous occupés par leur travail quotidien. À cela il faut ajouter le temps qu’absorbent inévitablement les transports en commun — une à quatre heures par jour, certifie-t-on.
Ils sont tous mariés, ou souhaireraient l’être. Les enfants seront bientôt là. Il est des priorités qui ne sont point des contraintes, et d’autres qui nous sont si vitales qu’elles nous sont naturelles.
La joie même fatigue les corps : le repos est nécessaire. Il est plus ou moins grand, chez l’un, chez l’autre.
Leurs amis ne sont pas forcément les miens. J’en connais même qu’ils gardent jalousement — par peur de les perdre, très certainement.
On ressent aussi par moment le besoin d’être un peu seul — non d’ailleurs que ce soit le lot de tous.
Je comprends qu’à l’ordinaire ils n’aient le temps de me voir, et qu’ils profitent pour ce faire des soirs où par mégarde ils sont seuls, où ils s’ennuient un peu.
Une pensée pourtant m’amuse au milieu de mon désert : combien de temps faudrait-il — un mois, deux ? — faudrait-il à quelqu'un pour découvrir mon corps, si d’aventure ce couteau qui coupe les pages de mes livres perçait aussi mon cœur.







REPROCHE.


Tu es violent.
Tu es violent, jusque dans tes caresses tu es violent.
Tu es violent quand tu ne me dis pas bonjour, quand tu ne me remercies pas.
Peut-être ne suis-je exactement un modèle de tendresse ; peut-être peut-on souhaiter partager couche et vie avec quelqu’un qui soit plus aimant, plus… démonstratif.
Tu es violent quand même tu veux être doux, violent quand tu es au plus calme. Violent, quand tu ris, quand tu regardes, quand tu titubes et quand tu bois.
Violent ton désir, violente ta peine. Violente ta colère qui devient rage.
Mauvais et violents, tes propos et tes gestes quand tu veux faire mal.
Tu tiens à moi à ta façon. Cela je le sais. Je ne te demande pas de m’aimer, comme tu m’aimais dans les premiers jours. Supporte-toi seulement quelque peu ; fais quelque peu confiance, à toi, à moi, aux autres en ton tour. Tu…
Tu ne m’écoutes pas.







IMAGINER.


Les enfants aiment à se raconter des histoires. Les inanimés lors s’animent, des liens se tissent entre les choses. Le moindre roc se colore, prend vie, devient plus qu’il est. Maintes tragédies se jouent à l’heure du bain. Les poupées s’aiment et se déchirent. Se font et se défont maints univers au gré du créateur.
Puis on mesure le peu de prise qu’on a sur l’autre univers, celui qui nous entoure. Non que nous ne le sussions pas : c’était rengaine inaltérée, des parents, des professeurs, des « grands » — le démiurge est un esclave. Quelle curieuse fierté l’on tire de ce savoir.
Les voix de dans nos têtes se font plus rares. Dans les couloirs d’université, les connaissances remplacent les poings des cours d’école. On conçoit, bâtit, écrase, change et défigure, très-satisfaits, insatisfaits, on recommence. Histoire de l’humanité en miniature. En fin, des têtes in-octavo gouvernent des corps imbéciles. Ceux-ci et celles-là sont secs, pris dans la graisse des formes.
Est-il possible d’errer plus encore ?
La lumière pourtant n’est pas sèche ; l’œil moins encore servile.
Les choses à présent nous racontent leurs histoires, qui continuent les nôtres.
Ne criez pas ; taisez-vous, bien plutôt.







ICI.


Les jours passent ici égaux, les uns aux autres.
Une douce pluie vient parfois nourrir nos terres. En hiver, de violents orages se heurtent à nos maisons ; mais nos bois sont durs.
Les gens du village se connaissent, et pourtant ne se connaissent pas. Les heurts sont rares, et les inimitiés jamais ne durent.
Nos équinoxes sont belles. Elles amènent tempérance et calme, fleurs naissantes, chute des feuilles. Les hivers sont rudes ; mais les étés sont cléments.
Ceux d’entre nous qui sont blessés s’entr’aiment ; les autres se contentent de vivre à leur manière.
Parfois, un étranger — on ne sait pourquoi — arrive et reste, s’installe pour un temps, puis repart. Les séjours durent, semble-t-il, le temps de la convalescence.
On y meurt comme partout ailleurs.
C’est un cercle confortable et seul, qui sans cesse recommence, où règnent les choses qui seules perdurent.







TYPE 1.


Froides comme une pierre en décembre dans l’hémisphère nord, un peu plus au nord encore — jusqu’à ce qu’ils forcent l’entrée, les mots secourant les gestes — car pour elles le mot vaut geste et force foi — non, un monde de mots melliflus à l’oreille murmurés — mais pas trop près — plutôt, cent fois plutôt, qu’une éternité de caresses qui sont comme autant d’atteintes irrémiscibles à l’âme qui, comme chacun sait, se remet moins encore d’une poignée de mains, que d’un effleurement par la langue d’une muqueuse lippue qui mouille et se gonfle — car lors, s’il n’est seulement qu’un fond de mauvaise foi, elles connaissent que ce n’est pas chose si désagréable, si l’on ferme les yeux et s’imagine en robe blanche avec dentelles : c’est un passage obligé, un mal intermittent pour un plus grand bien — car il est bien connu que les passions avec le temps se taisent.







VANITÉ
ET PETIT MENSONGE.


« —Comment ça : ça suffit ?
— Tu ne te rends pas compte que ça ne me fait rien ?
— Je me disais aussi.
— …
— On arrête là alors.
— …
— Tu sais, ça ne sert à rien de faire semblant : ça se voit tout de suite. Enfin, c’est quand même une première. Dis-moi plutôt.
— Mmh mmh. »







TYPE 3.


Elle est comme une muraille attendrissante, un bastingage qu’on ne pourrait toucher, qu’on ne pourrait et qu’on ne peut qu’entendre.
Elle ne s’aime pas vraiment — ou plutôt : elle s’aime comme s’aiment toutes les femmes : selon son compagnon. Elle aime assez ses petits seins qu’elle croit en pomme ; ses fesses lui déplaisent : on lui a trop répété qu’elles étaient grosses ; ingénûment, elle prend ses bourrelets pour de la peau.
Son contact avec le monde se borne aux mots ; le reste la raidit et la laisse froide : faute sans doute à une éducation quelque peu puritaine. Elle les use avec un grand désespoir et vide au cœur, vague à l’âme.
Quand elle parle des choses qui lui répugnent, elle devient vulgaire. C’est chose triste et risible tout à la fois.
Tout doit être propre et lisse. Tout ce qui suinte, grouille, tâche et dégouline doit disparaître — ou plutôt : elle résoud cela à la manière de toutes les femmes : elle fait comme si rien de cela n’existait.
On voudrait l’aider ; mais on n’y peut rien faire.







COMPAGNE.


Hier, je rencontrai une femme qui n’était pas une femme.
C’était un camarade de guerre, le frère d’armes contre lequel j’avais combattu jusqu’à la mort et me reposais en toute confiance.
C’était un ami d’enfance que j’avais quitté la veille. Jamais il ne me juge et jamais je ne le juge, car aucun secret ne s’interpose entre nos coeurs. La pensée lourde d’avoir macéré en silence, les mots qui éclatent, débordent et blessent, jamais ne troublent le cours de notre entente, car chaque parole à l’autre dite allège le poids des jours.
Par suite, les mots secourent nos corps plutôt qu’ils ne les gèlent et, libérées du silence de mise, nos peaux s’entremêlent et jouissent dans le long temps des draps, qui du monde nous cèlent.
Il est bon d’avoir une demeure.
Peut-être vivrai-je quelques années encore.







ENVOIS.


C’est une histoire touchante, triste et banale, comme il en est cent, comme il en est mille.

« Janvier 1989

Connais-tu le plaisir de couper le papier d’un livre, d’être le premier à le défricher et à le déchiffrer. Une autre forme d’expérience de la virginité… littéraire cette fois.
Anouchka
à son baby. »

(Exemplaire non coupé.)

Il fut un temps où les livres étaient des choses qui demeurent. D’ores on en use, et les jette. C’est regrettable ; mais c’est ainsi.
Il fut un temps où les livres étaient des choses de partage. Sur la page de faux-titre, on écrivait d’une autre encre des mots d’offrande, on y priait l’être cher de bien vouloir etc., respectueusement, amicalement, avec ou sans baiser, dans l’espoir de, tu verras, fiers, hésitant, tendre, amoureux.
Les choses qui demeurent passaient de mains en mains, témoins d’histoires dont on ne saura guère plus que peu, dont on ne saura rien.
Il fut un temps où il fallait, pour les pouvoir lire, couper les pages. Il est heureux, pour une part, qu’on nous mâche le travail à présent : les preuves à charge disparaissent ; et tout passe, inentamé.







HABITUDE.


Qu’est-ce qui gouverne les relations humaines ? — la fortuité de la rencontre — son charme, aussi — l’aléas chimique du plaisant — la volonté du revoir — et puis ? et puis quoi ? Qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui fait qu’on s’accroche — parfois jusqu’au désespoir — en amitié, comme en amour ?
On s’habitue. À n’être plus seul. À l’idée d’être nécessaire à quelqu’un, quelqu’une, quelqu’autre. On s’habitue aux habitudes — on s’y habitue vite —, aux petits rites, aux phrases connues, aux horaires dits, aux attentions prévisibles, aux sentiments balisés, au sexe rapide des jours de fête, aux coups de fil d’anniversaire, aux déjeuners du dimanche. On se dit que puisque ça dure, ça réussit, ça gagne, ça grandit. On ne veut pas perdre la face. Plutôt tout que de retourner à l’état antérieur des choses. Prouver au monde connu qu’on est fort, qu’on est capable, indépendant.
Endurer l’ennui, souffrir les offenses, en chérissant l’espoir de joies qui viendront bien un jour. Un malheur dans la vie de l’autre occupe un temps. Un mariage, un peu plus long. Un enfant, quelques années. Qu’ils se succèdent et le temps passe. Un chien quand on n’peut plus. Changer d’objet. S’abrutir autant qu’on peut. Mourir tranquille et juste, d’extrême vieillesse, entouré d’enfants attentionnés et aimants, qui quand même secrètement se disent chacun son tour c’est temps qu’ils crèvent c’est mieux pour eux tu comprends je les aime tellement oui le petit dernier va très bien il a plein d’amis c’est un gosse brillant ah premier en classe c’est normal il est tellement calme tellement gentil reste tranquille veux-tu.
Ah mais non — ah mais non —, tout est si beau — tout est si beau —, cela fait des années qu’on se connaît — qu’on se connaît. Oui je suis très heureuse — suis très heureuse —, tout va très bien — tout va très bien.
S’il fait froid c’est qu’on est entouré de cadavres.
En toute chose il est un temps où s’impose un grand ménage.







JOUIR.


Aussi loin que je me souviens, je me suis toujours caressé. — Caressé ! mot dont abusent les femmes, lesquelles voudraient bien le mettre dans notre bouche.
Elles ne savent la violence de la chose, et n’en veulent rien savoir.
Connaissent-elles une seule chose autrement qu’à travers l’idée qu’elles s’en font ? Elles déprécient ce qu’elles réprouvent — tout ce qui n’est pas elles n’existe pas.
Elles sont un bestiaire immense, protestent un peu quand la pique touche, mais n’y veulent rien changer.
Vaches, autruches, truies, fourmis, chattes et chiennes.
Y a-t-il quelque part une femme qui soit digne d’estime ?
L’accouplement est un simulacre de masturbation. On ne s’accouple plus que rarement pour se reproduire. On se frotte censément pour se faire plaisir. Tout se passerait mieux si l’acte était perçu comme ce qu’il est à présent : une masturbation à deux.
S’emboiter ne veut pas dire qu’on ne fait plus qu’un.
C’est grand dommage que tous ces détournements d’usage, ces baises pour rassurer sa femme, ces baises pour conserver son homme. Quelques petits cris de contentement — un murmure, un gémissement suffit — sont le vernis nouveau des vanités.
De toute façon, les hormones avec le temps se calment — ce qui met tout le monde d’accord.
N’est-ce pas ?
C’est peut-être par ailleurs mon premier souvenir, ces innombrables fois de plaisirs solitaires et aléatoires, ainsi que la recherche de nouvelles façon de venir.
Allez dire cela aux mères.
Tout compte fait, ne le leur en faites pas part : elles croiraient qu’on passe son temps à mentir, et à courir après des chimères.







AU CAFÉ.


Il est arrivé un peu tôt.
Le café est presque vide : il vient d’ouvrir. Un vieil homme, barbu, parle au comptoir. Au fond, deux filles papottent. Pas encore de musique à cette heure ; la machine à expresso seule siffle de temps à autre.
Par ailleurs, il commande un café, en attendant. Il se demande ce qu’elle fait, si elle viendra.
Peu après, elle passe la porte.
Ils se sourient et se saluent. Questions et réponses habituelles. Puis il lui demande — veut-elle boire quelque chose ? un thé merci.
C’est fou y a personne — c’est normal vu l’heure qu’il est — mhmh — les cours comment va ? — ah, professeur un tel — oui et comment elle s’appelle déjà.
On apporte la tasse de thé et le pot d’eau, chaude.







LES GENS.


— Alors à ce soir !

— À ce soir !

— À tout à l’heure !

— Ça te fais rien si je ramène… ? Alors à tout à l’heure !

— Ça te dérange si on décale à demain ?

— Désolé finalement ce soir je ne peux pas. Un autre jour quand tu veux ?

— On ferait pas plutôt un resto ? je t’invite.

— …

— Désolé pour la semaine dernière : un imprévu. Pouh, fatigué. Tu veux que je vienne vers quelle heure ?… Comment ça c’est pas la peine ? … Mais c’était… … Écoute je voulais pas… Désolé, vraiment… Bon, O.K.







HABITUDES.


Elle était vieille avant l’âge. Les formes se précisaient ; les murs la rassuraient. Elle avait grandi en ville, et ne connaissait que cela : elle éprouvait une sorte d’indifférence à la vue de la verdure.
À l’exemple des autres autour d’elle, elle pensait et disait qu’un peu de campagne, la fin de semaine venue, faisait du bien : on y respire mieux ; tout y est plus calme.
Bien sûr, cela ne durait guère, car on y trouvait, et l’on y trouve encore, un peu trop d’insectes et de bêtes, qui rampent, qui grouillent, qui volent et vivent. Quand, la nuit, elle ne parvient à trouver le sommeil, les bruits l’inquiètent. On ne sait d’où ils viennent, ni ce qui, ou quoi les fait.
En vérité, elle était soulagée quand, le dimanche soir, ils reprenaient la route vers la capitale. Tout ce qu’on y entend, tout ce qu’on y voit, est connu, familier : les bas-côtés de bitume ; le vrombissement des automobiles ; les mille conversations qui se mêlent, dans la rue ; les voix des voisins, du dessous, du dessus ; les ragots du boulot, l’immeuble d’en face, les sirènes au loin.
Au milieu de tout cela elle se sentait, sinon bien, mieux — question d’habitude. Ces choses qui nous entourent nous deviennent, à force de côtoiement, quelque peu nécessaires.
Le nombre des lieux chargés d’affect diminue. Lui restaient : sa nouvelle « maison », le bureau, l’appartement parental, où elle retournait avec un plaisir certain, le plaisir que procure l’illusion tenace qu’on peut s’en retourner à l’état antérieur des choses, n’avoir plus à décider de rien, que se laisser nourrir, choyer, vivre en enfantine insouciance — un cocon. Cet appartement était pour elle un utérus — c’est chose étrange à s’imaginer, si l’on s’y arrête un temps.
Le décor était là, et ne changerait probablement pas.
Les gens aussi font partie du décor. En ville les occasions, à fin de fidéliser de nouveaux visages, manquent et ne manquent pas ; mais cela importe peu : le cercle avec le temps assemblé se fige.







PROPRIÉTÉS.


Il n’aime pas à la voir sourire ingénuement aux hommes mûrs qui l’entourent.
Elle n’aime pas à le voir poser sa main sur les épaules dénudées des filles qu’il approche.
Les variations sont innombrables et le domaine n’a pas de limite.

À présent les comptes sont en ordre : tous deux sont morts — rien à voir avec l’affaire : accident de voiture.







MANGER.


« Il faut manger car tout ce qui nous entoure nous dévore », se plaisait-il à dire. « Il ne faut pas en rire, mais faire sien ce qui n’est pas soi. » Il portait de fines lunettes. Derrière, des yeux éteints, lesquels, par ailleurs, ne voyaient plus.

« Manger pour demeurer un peu plus encore. » Il parlait sans vraiment ouvrir la bouche. « Être soi-même mangé, voilà le grand repos. »

Sa voix vibrait dans l’air et ses mains s’agitaient devant son visage. Ses doigts, longs, et fins. « L’air, oui. À chaque instant nous partageons la nourriture. »

Le maître-marionnettiste s’amusait bien.







SOUVENIR.


Le passé n’accroche pas sa mémoire : la tresse nouée se défile aussitôt.
Deux choses le relient au passé qu’il aimerait pourtant aimer, et dans lesquelles il passe ses jours entiers : son journal intime, et la photographie.
Il écrit sa vie, qu’il lira le jour suivant comme celle d’un autre.
Il s’étonne qu’il ait pu voir, la veille, un tel coucher dessus les toits, car aujourd’hui le ciel est gris.
Le détail ne nous intéresse pas — passons : il l’oubliera vite assez.







SOMMES.


Un livre dans un livre. Un rêve à l’intérieur d’un rêve. Une chose qu’on sait si bien qu’elle fait mal.
Il s’allongeait des heures durant, sans que l’on pût deviner courir les cavales de dans sa tête. Il sortait toujours plus fatigué de tous ces songes.
Pourtant, il y retournait, avait hâte de ce faire.
Il est vrai qu’il avait beaucoup à oublier.







AU SOIR.


Je suis à l’image de tout homme pour qui les honneurs et la gloire, les femmes, la richesse, le pouvoir, ne sont plus rien : je ne veux plus que paix, retraite, tranquillité.
On fait bien assez de bruit dans sa vie — on en entend bien trop, aussi. Je souhaite le calme et le silence comme derniers luxes.
On a tant détruit — les êtres chers, beaucoup de choses, aussi : il n’est jamais trop tard pour bêcher la terre.
Tous sont morts autour de moi : me reste juste assez de mémoire pour les honorer chaque jour.
Mes enfants ? — je n’en ai pas eu. Ils ne m’auraient aimé pas.
Suffit.
Que me sert d’égrener les vœux qui ne seront ? : cet hôpital m’est une prison.
Tuons-nous demain : il est trop tard déjà, ce soir.








UN BAR.


Deux hommes au comptoir, accoudés et bière, au matin.

« — C’t’incroyab’comm’è’s’prenn’nt les femmes. È’veul’nt l’égalité et tout l’bordel, et è’voudraient encore qu’on leur tienn’ la porte quand ell’s passent.
— Ben ouais qu’ès’tu veux, c’est l’argent et l’argent du beurre. Mais bon, c’est pas comm’si on peut y faire què’qu’chose.
— ‘Faut pas flancher, gars. ‘Faut y faire pareil qu’ell’s font : la port’dans la gueule. Et j’t’en foutrai des s’te plaît merci.
— Arrête. Ça sert à rien tout ça. Pis c’est qu’des femmes. »

Une jeune femme entre dans le bar, entre aux toilettes, un temps, en sort ; l’homme (1) la devance dans sa course et lui tient la porte ; elle fait un sourire crispé et sort ; l’autre revient au bar.

« — C’est qu’des mots c’que tu viens d’me dire : t’es allé lécher ses bottes.
— Nan, là c’est pas pareil : elle était jolie. »







PLACES.


Il y a une femme toujours chez les hommes quelque part : une femme qu’il y a ; femme qu’il y aura ; qu’il y avait ; celle qui, si, il y eût…— sans compter toutes celles qui, parce qu’elles sont belles ; et celles autres, aussi, parce qu’elles ne le sont pas.
Volontiers elles croient qu’elles sont pour nous semblables à des perles qu’on enfile, à ces parts indistinctes d’un chapelet, duquel elles voudraient être la croix.
En vérité, chacune est telle, et n’est pas : le nom, à défaut du visage, demeure, et prend bien plus de place qu’il n’en faut pour l’écrire.
Arrive en suite un jour, où la tête est pleine, qui empêche les nouveaux amours, tant est lourd le poids de ceux qui ne sont plus.
Il faudrait alors faire table rase ; mais, pour cela, être femme.







TOURNE.


Il était distrait et fainéant ; mais on ne lui en voulait pas pour autant, car il était beau, et portait un grand sourire. C’était un peu un enfant : les femmes recherchaient sa société, forcément.

Il prit nombre maîtresses, car le plaisir est toujours chose à prendre ; mais c’est une chose qui se sait, et la femme est une créature jalouse : des scènes s’en suivaient, violentes parfois ; mais on ne lui en voulait pas pour autant, car il était beau, et portait un grand sourire.

Ce jeu de dupes, où chacune pensait être la première, dura long-temps ; mais on ne lui en voulait pas pour autant : c’était un peu un enfant.







LUMIÈRES.


Elle habitait au dernier étage d’un grand immeuble.
La nuit, le cahot de la ville s’apaise ; elle passe les siennes à la fenêtre, les yeux dans le vague de cette grande ténèbre et de ses lumières.

« Combien de gens que je ne sais, qui ont, eux aussi, leur vie ? »

Sur la route, le matin, elle voyait passer le Métropolitain, aux fenêtres duquel étaient entassés les visages, différents, toujours ; mais jamais un sourire.

« Combien de gens que je ne sais, qui ont, eux aussi, leur vie ? »

Au dessus du cercle polaire, des îles immenses. Là aussi, de rares lumières, de minuscules villages, au milieu de la neige noire.







PARTAGE.


Elle pensait les parts de chacun se retrouvaient dans chacun autre, que l’un partage avec tous les traits nombreux de son être, et que, par conséquent, en se connaissant elle-même, elle eût pu connaître ses semblables.
Ce n’était point qu’elle fît sienne la colère d’un tel ; ce n’était point qu’elle compatît à la douleur de telle autre, ou qu’elle aimât d’un amour identique le même objet que cet autre encore.
Non : elle comprenait ces étranges vivants, lesquels parfois lui paraissaient très-morts.
Cela ne lui empêchait pas de vivre sa vie — tout au contraire.







FATIGUE.


Il mettait un acharnement tel à ne pas vivre qu’il faisait peine à voir.
L’homme dont nous parlons avait, pourtant, à peine trente ans.
Il passait sa journée à s’occuper, comme atteint de fièvre, de façon qu’il fût suffisamment fatigué, la nuit tard venue, pour pouvoir dormir quelques heures ; puis tout recommençait.
Lorsque la maladie le frappait et amoindrissait son corps, un immense soulagement l’emplissait tout entier : c’étaient les seuls moments où s’apaisait quelque peu son cœur.
Le sommeil, à part égale, était son ami, car il était vide des rêves inutiles qui réjouissent ou hantent le réveil : il ne savait si la cavale était noire ou blanche.
Le dernier somme, à son goût, tardait trop à venir.







ALCOOL.


L’alcool est chose étrange, bien qu’elle me soit familière. C’est moins une fée jolie qu’un petit démon.
À présent je n’arrive plus même à dormir : je me réveille aussitôt d’un cauchemar, couvert de sueur.
Les jours passent identiques, et ils passent vite : c’est grand mérite.
Bien sûr, je ne peux avaler la moindre chose, et maigris à vue d’œil — je veux dire : pour ce que je peux en voir, car j’ai brisé chez moi tous les miroirs, et ne sors plus guère que pour les achats que l’on devine.
C’est une mort comme une autre : il en existe mille qui se valent — brèves ou longues, seulement ; un peu plus ou un peu moins de douleur, c’est selon, j’imagine ; et quelle importance ? : le résultat est le même.
Il fut un temps, pourtant, où c’était bien. Ce devait être il y a long.








TEXTES UN PEU PLUS LONGS







FIN D’UNE HISTOIRE.


C’est une histoire de sécrétions. De salive et de foutre. Tout se passait bien au début. Tout se passe toujours bien au début. Elle était très gentille, très amoureuse. Elle jouait et ne jouait pas à la petite fille. Elle a toujours pris soin de moi. Elle insistait, elle insistait. Je faisais mine de céder. Du moins je le croyais. Je cédais. Une fois, cent fois. Cent petits riens, et plus, qui font tout. La guerre est une guerre de détail, de marge. Oui, comme en commerce. Alors qu’il faudrait être intraitable. Chacun sa place. Au fond rien n’oblige. C’est une guerre de vice de forme. « Oui d’accord, mais pas ainsi. » Dans le fond, c’est une putain de guerre de forme. Et moi qui n’avait rien remarqué. On croit céder à des caprices insignifiants : on cède en fait du terrain. À la fin ? acculé. Tout cela avec une gentillesse, une joliesse, un sourire… Quand j’y repense, j’ai envie de vomir. J’ai toujours su que le sexe était quelque chose de louche. Tout va bien, et ça se tasse, ça se ralentit. Alors ça commence. C’est rare, une fille qui veuille comprendre un peu les hommes. C’est encore pire. Dérouler phantasmes et manières de, avec d’autres ou seul, et n’en rien pouvoir faire, parce que ce n’est pas fait pour. Curieuse. Allez lui expliquer que si on baisait comme on voulait, ça ne lui ferait pas plaisir. Alors que tout dans son corps à elle crie, par tous pores et muqueuses : « Attention c’est fragile : fais à mon rythme plutôt. Attends. Viens. Comme ça. Pas encore. Oui. » Et on prend le pli, on ne se pose plus de question, les désirs s’assimilent. Ou justement non : le sien contraint, domine et tue. Et elle n’y peut rien, et nous non plus, elle printemps perpétuel, et moi pauvre idiot. Oui on croit la tenir, avoir les rênes en silence, tandis qu’on l’embrasse et la caresse. Mais non. Roulé dans la farine, et l’on sait où ça mouille. On se frotte, et ce faisant on se vend. On vend son âme et son corps sans le savoir, pour pas un sou, avec le sourire, pour plaire, et se faire plaisir. Croit-on. Tous ces détails, je les vois maintenant quand j’y repense. Comme si un jour on trouve une clé dont on ne sait à quoi elle sert, et qui se loge en fait en serrure comme une balle dans nos têtes. Et on en vient à haïr ce qu’on pensait être le charme même. Du fin fond de ses entrailles, ça remonte. « Dis-moi, dis-moi. » Ça n’arrêtait pas. « À quoi tu penses ? » Sans cesse. « Ne sois pas si dur avec toi-même, laisse-toi aller. » Et encore. C’est à un de ces moments que le déclic s’est fait. Un soir j’ai fait selon mon corps, par dégoût et haine de ce que le sien était, représentait, voulait et ne voulait pas, au fond. Comme un pieu force sa voie en terre. Elle pleurait, criait, suppliait. Voilà à quoi on en vient. Tu disais vouloir savoir, hein ? Et bien maintenant tu sais. Puis je l’ai mise à la porte, en fermant yeux et oreilles (c’est par là qu’elles s’insinuent), de force, sans ménager sa sensuelle carcasse en pleurs, de sel, de sang. Maintenant tu sais. La curiosité, eh ? Chacun sa place.







AVIS


Avis aux Organismes Extra-Terrestres concernant la Population de la Troisième Planète Orbitale du Système Solaire.

Tout en haut de l’échelle alimentaire terrestre, en deuxième position, se trouve l’Homme.
L’Homme est un Animal (il l’oublie souvent).
Il est, en l’espèce, doué de langage articulé (plus ou moins), à fin principale de Communication — l’Homme est un animal social —, à fin secondaire de Littérature.
Le genre Humain est le seul élément du règne animal qui soit Civilisé : la domination et la contrainte ne s’exercent plus par la Force, mais par l’intermédiaire de la Monnaie, laquelle est l’étalon-valeur qui a, depuis long, remplacé le système archaïque du Troc (on échangeait chose pour chose équivalente). À présent, toute chose a un prix et, moyennant paiement, toute chose peut donc s’acquérir. Toutefois, les membres dominateurs de l’espèce ne sont pas ceux qui ont le plus de choses en effet, mais ceux qui ont la plus grande quantité de Monnaie à leur disposition. À l’intention de ceux-ci, fut créé un système virtuel de thésaurisation, appelé Système Bancaire — car la Monnaie matérielle même prenait trop de place.
Le second critère de Civilité est l’Art. L’Art est un artisanat inutile qui mesure le degré d’évolution d’une Civilisation : plus l’Art est inutile, plus la Civilisation est évoluée.
Au sortir de maints errements, l’Homme a créé une forme de Société belle et parfaite, la Démocratie, dans laquelle la Majorité gouverne, et un petit nombre — les Autorités Règnantes — mène cette dernière par le bout du nez, au moyen de Représentants — les Hommes Politiques — et de Relais d’Information Modérateurs — télévision, radio, presse. Cette Société est necessaire, car l’Homme est un animal irrationnel, aggressif et faible, qui recherche la compagnie de ses semblables pour les diminuer, physiquement ou d’une quelqu’autre manière, et qu’il convient donc tout à la fois de juguler et de protéger de lui-même. Il est heureux que plus un groupe compte d’Hommes, plus le niveau d’intelligence de ceux-ci décroît, tant est grand leur désir de mimétisme et de reconnaissance. Des groupes on fait donc ce qu’on veut.
La Paix est garantie au moyen d’un artifice complexe de Lois — lesquelles recencent, inégalement, les actes licites et illicites, les droits et les devoirs, de chacun — et d’un réseau complexe qui assure le respect des dites Lois. Ce réseau est composé d’une branche d’Appréhension— la Police — et d’une branche de Punition — la Justice. Il manque à ce judicieux échaffaudage une branche de Délation, laquelle, par chance, officie d’une manière tout à fait officieuse et impune, garantissant par-là même le bon fonctionnement des deux autres branches.
Ces systèmes, ainsi que l’appétit vorace de l’Homme, ont installé celui-ci, comme nous l’avons dit, à la deuxième place dans l’échelle alimentaire. Il domine sur terre, air et mer, et exploite à outrance et perte les ressources de ces trois milieux naturels au moyen de la Science. Grâce à celle-ci, l’Homme parvient même à empêcher les morts prématurées, et à retarder de beaucoup son échéance naturelle. D’aucuns, qu’il ne faut croire pas, certifient même que la mort est en voie de disparition.

Le plus petit noyau social est, depuis peu, l’Individu. S’il n’a pas la force de vivre seul, il fonde une Famille.
Ah oui : contrairement aux monocytes, il est une version femelle de l’Homme, laquelle se nomme, on ne sait pourquoi : Femme. L’Homme est un animal vivipare ; la Femme porte en elle les rejetons procréés par accouplement.
L’accouplement est le mode de reproduction le plus répandu. L’organe sexuel mâle pénètre dans l’orifice qui sert d’organe sexuel femelle, s’y excite et s’y frotte, de manière à provoquer l’éjaculation d’une semence, laquelle, si le calendrier lunaire s’y prête, viendra féconder l’œuf ou les œufs (rarement plus de deux, ce qui, en soi, constitue déjà une exception) que la Femme sécrète.
Le second mode de reproduction est la reproduction in vitro : on extrait les semences et provoque la fécondation dans des fioles placées dans des conditions idéales.
Le plus souvent, la reproduction ne se fait pas du tout, pour au moins deux raisons : soit l’accouplement ne se fait pas, ce qui ne facilite pas les choses ; soit il se fait par pur plaisir, par plaisir unilatéral, ou par simple obligation — toujours est-il que ce n’est que minoritairement par choix reproductif. Il faut noter que le taux de natalité décroît à mesure qu’augmente la ressource Monétaire de l’Homme. L’Homme est par ailleurs la seule espèce animale à pratiquer la contraception préventive, par le biais de divers procédés, mécaniques ou chimiques. Si le cas échoit où la fécondation malgré tout réussit, on n’hésite guère à tuer la chose. Le Confort des Individus guide leur choix dans cette matière.
Au bout des neuf mois de grossesse — si tout se passe bien —, le petit Homme ou la petite Femme, en proportion généralement égale, est rejeté du ventre maternel. La population totale compte plus de Femmes que d’Hommes, pour la raison probable que seuls les Hommes partent à la Guerre.
La Guerre est un phénomène en voie d’extinction qui se porte bien, au cours duquel l’Homme tue l’Homme pour diverses raisons, sensées rarement, sinon jamais. Il va de soi que la Guerre est le seul prétexte qui justifie et encourage même le meurtre (le cas précédemment cité mis à part). Les Femmes restent à l’abri aussi loin que possible derrière les lignes, et s’accommodent des vainqueurs.
Où en étais-je ? — la Famille. Elle se compose le plus souvent de deux Individus, lesquels sont, le plus souvent, un Homme et une Femme. Cette configuration n’exclut pas toutes les autres, lesquelles ont toutefois une moindre probabilité de se voir reconnaître par les Autorités Règnantes. Cette structure de base est appellée : Couple. La Loi tolère et permet le turn-over des partenaires qui, de toute façon et en général, n’en font qu’à leur tête. Au Couple s’adjoignent les divers Enfants procréés ou achetés, lesquels, ainsi que le précise l’étymologie, n’ont pas leur mot à dire. Il faut noter que les Autorités Règnantes encouragent la reproduction dans les pays riches, et tente de limiter celle-ci dans les pays pauvres, et ce à fin consumériste. Le copule initial, en suite ou par suite (des enfants), peut se voir réduit à un seul Individu, lequel demeure rarement seul très longtemps, sauf s’il est pauvre, vieux, laid, aigri, ou trop difficile dans ses choix partenariaux, quelque soit son sexe.
Le choix des partenaires est une question délicate. En résumé, l’Homme choisit toujours la Femme socialement reconnue comme la plus belle, et la Femme, qui a un sens sûr et inné de la survie, choisit toujours l’Homme socialement reconnu comme le plus fort. Le choix est laissé, en dernier ressort, à la Femme. Par suite logique, la plus belle choisit le plus fort ; puis la deuxième en beauté, si elle ne parvient pas à subtiliser à la première, par la ruse ou le grimage, le premier en force, se contentera du deuxième, et caetera. L’Amour est le nom que l’on donne à cette convenance. Les Sentiments sont un mécanisme tout à la fois d’auto-défense et d’auto-persuasion de l’organisme, à fin de rendre cette réalité acceptable à l’Homme et à la Femme, lesquels persistent à se croire libres de leurs choix — quelqu’il soit, par ailleurs.
Fort heureusement pour moi et beaucoup d’autres, la signification sociale de « belle » et « fort » varie selon l’éducation des Individus. Ainsi, les filles pom-pom choisiront les footballeurs américains ; les filles de bonne famille, les cadres dynamiques ; cela, étant donné que les classes socialement supérieures ont tendance à se reproduire entre elles, et que les membres des classes socialement inférieures, sans égard pour leurs congénères, ont tendance à vouloir faire partie de la première catégorie.
C’est à peu près tout.

Tout en haut de l’échelle alimentaire se trouvent les bactéries, virus et autres choses curieuses, qu’on ne mentionnera pas ici, puisqu’on ne peut les voir à l’œil nu.

Ainsi se termine cet Avis.

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