Chapitre vingt-cinquième,
Où l’on retrouve
Un connu,
Qui propose escapade.
Où l’on retrouve
Un connu,
Qui propose escapade.
Le soleil tapait encore en cette fin d’après-midi. N marchait lentement de par les rues du village, modestement entouristées. Il ne faisait pas aussi chaud qu’il eût pu, car la brise marine passait les terres. La demoiselle faisait sieste. (« C’est pour moi un grand bonheur que de dormir ! », lui avait-elle dit en joie.) N, qui n’avait pas de goût prononcé pour la chose, l’avait laissée dans la couche boisée. Il alla parmi les pins jusqu’au rivage, du côté baie à l’océan. Il contempla l’étendue d’eau, du haut du mur de sable, se demanda combien de litres cela pouvait faire, n’en eut aucune idée, remarqua les faces de sel de deux amants, probablement, qui s’ébataient en bas, se dit qu’il aimait assez le visage qu’à sa rencontre faisaient ses cheveux blonds et courts, se demanda si elle dormait encore, regarda la mer à nouveau, n’y trouva nul nouvel indice de sa contenance, et s’en fut en l’autre sens.
Le temps passe curieusement quand on est seul. Tout est différent, en vérité. Seul et sans montre. Sans ces autres, nos repères. Qu’on y pense : tout tourne autour des autres, y compris nos chers nombrils, et certains ne peuvent s’en passer — se passer, non de leur nombril (on n’a guère le choix), mais des autres. Grand dommage et servitude certaine, que de ne savoir être seul. Pourtant, l’on coupe le cordon à la naissance. « Autant de gens qui ne se veulent pas connaître, avait un jour dit N. Ils vivent dans l’ignorance perpétuelle d’eux-mêmes. C’est d’un triste ! On devrait forcer les gens, à un âge donné, à passer un mois au moins dans un lieu reculé — ou bien juste les laisser dormir seuls. Et surtout les filles : elles passent encore de père à mari. Si si, je t’assure ! Il arrive seulement parfois que des cohabitations diverses s’intercallent — mais cela revient au même. Certes, on peut se ménager une solitude au milieu de la foule, mais encore faut-il aimer ça, la solitude ! Et la foule ! Et encore faut-il se supporter. Mais bon, c’est dommage, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, hein ? — Oui oui, je sais, prêcher ne sert à rien. — Législateur ? Eh, c’est une idée. Les gens ne comprennent que la force. Bah, peu importe. Une cigarette ? — Dictateur, c’est mieux, non ? — Ah ah, je sais, je sais. Tu as du feu ? »
L’herbe un peu sèche étouffait les pas. Seuls, bruits d’insectes et d’animaux, cachés au tour. Le tapis de la cime des pins pliait sous maintes caresses, aléatoires. À mi-route, sur un sentier de terre sableuse au milieu des herbes, N croisa Jean, qui semblait, hilare sous sa moustache, l’attendre.
« — ‘Evening, my boy ! How are things ? lui demanda Jean, d’un accent déplorable et désespérément franchouillard.
— Ça va. Où est passé Dmitriu ?
— Ah ça, il a encore deux ou trois trucs à régler, des affaires en cours, tout ça, pour qui tu sais (clin d’œil), enfin tu vois, quoi. Du coup (grand sourire), j’me suis dit que tu t’ennuyais p’t-être, et qu’il fallait t’sortir un peu. Qu’est-ce que t’en dis mon gars ?
— Ben bof, ça va, fit-il d’un haussement d’épaules..
— Ah, bon. (Air dépité.) Moi qui croyais t’faire une ‘tit’ surprise et t’faire plaisir par la même occasion, ben c’est pas d’chance…
— … (Soupir.)
— T’es sûr qu’tu veux pas t’changer d’air un peu, ? Just’pour ce soir !
— Ben… bof.
— Allez garçon ! ‘Faut bien vivre un peu !
— Y en a pour longtemps ?
— Ah ! (rayonnant) Non non, on s’en va dès qu’t’en as marre, quand tu veux !
— Alors OK…
— Eh eh, tu l’regrett’ras pas, j’te l’dis ! Vas-y : prends mon bras.
— Ah. Ça va pas foirer, c’coup-ci, t’es sûr ?
— Garanti mon gars ! Allez hop ! »
N se demanda le temps d’un instant où ils allaient atterrir. Il y eut une petite sensation de flou, durant laquelle il ferma les yeux. Une musique, des sifflements et des cris d’encouragement avaient succédé à la rumeur des vagues qu’apportait la brise ; une forte odeur de tabac, de sueur et d’alcool, à celle des pins, du sable et du sel. N ouvrit les yeux. Le balayage d’une lumière-point les lui fit plisser : il mit sa main en visière. Jean posa gaillardement la sienne sur son épaule, et lui cria par-dessus le tumulte du lieu clos, banane en bouche :
« — Tada ! Alors, t’es déjà venu dans une boîte de strip-tease ?
— Non.
— Eh eh, qu’est-ce que t’en dis ? J’étais sûr que ça allait t’plaire ! C’est chouette, hein ? Hein ? »
N sourit poliment.
Le temps passe curieusement quand on est seul. Tout est différent, en vérité. Seul et sans montre. Sans ces autres, nos repères. Qu’on y pense : tout tourne autour des autres, y compris nos chers nombrils, et certains ne peuvent s’en passer — se passer, non de leur nombril (on n’a guère le choix), mais des autres. Grand dommage et servitude certaine, que de ne savoir être seul. Pourtant, l’on coupe le cordon à la naissance. « Autant de gens qui ne se veulent pas connaître, avait un jour dit N. Ils vivent dans l’ignorance perpétuelle d’eux-mêmes. C’est d’un triste ! On devrait forcer les gens, à un âge donné, à passer un mois au moins dans un lieu reculé — ou bien juste les laisser dormir seuls. Et surtout les filles : elles passent encore de père à mari. Si si, je t’assure ! Il arrive seulement parfois que des cohabitations diverses s’intercallent — mais cela revient au même. Certes, on peut se ménager une solitude au milieu de la foule, mais encore faut-il aimer ça, la solitude ! Et la foule ! Et encore faut-il se supporter. Mais bon, c’est dommage, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, hein ? — Oui oui, je sais, prêcher ne sert à rien. — Législateur ? Eh, c’est une idée. Les gens ne comprennent que la force. Bah, peu importe. Une cigarette ? — Dictateur, c’est mieux, non ? — Ah ah, je sais, je sais. Tu as du feu ? »
L’herbe un peu sèche étouffait les pas. Seuls, bruits d’insectes et d’animaux, cachés au tour. Le tapis de la cime des pins pliait sous maintes caresses, aléatoires. À mi-route, sur un sentier de terre sableuse au milieu des herbes, N croisa Jean, qui semblait, hilare sous sa moustache, l’attendre.
« — ‘Evening, my boy ! How are things ? lui demanda Jean, d’un accent déplorable et désespérément franchouillard.
— Ça va. Où est passé Dmitriu ?
— Ah ça, il a encore deux ou trois trucs à régler, des affaires en cours, tout ça, pour qui tu sais (clin d’œil), enfin tu vois, quoi. Du coup (grand sourire), j’me suis dit que tu t’ennuyais p’t-être, et qu’il fallait t’sortir un peu. Qu’est-ce que t’en dis mon gars ?
— Ben bof, ça va, fit-il d’un haussement d’épaules..
— Ah, bon. (Air dépité.) Moi qui croyais t’faire une ‘tit’ surprise et t’faire plaisir par la même occasion, ben c’est pas d’chance…
— … (Soupir.)
— T’es sûr qu’tu veux pas t’changer d’air un peu, ? Just’pour ce soir !
— Ben… bof.
— Allez garçon ! ‘Faut bien vivre un peu !
— Y en a pour longtemps ?
— Ah ! (rayonnant) Non non, on s’en va dès qu’t’en as marre, quand tu veux !
— Alors OK…
— Eh eh, tu l’regrett’ras pas, j’te l’dis ! Vas-y : prends mon bras.
— Ah. Ça va pas foirer, c’coup-ci, t’es sûr ?
— Garanti mon gars ! Allez hop ! »
N se demanda le temps d’un instant où ils allaient atterrir. Il y eut une petite sensation de flou, durant laquelle il ferma les yeux. Une musique, des sifflements et des cris d’encouragement avaient succédé à la rumeur des vagues qu’apportait la brise ; une forte odeur de tabac, de sueur et d’alcool, à celle des pins, du sable et du sel. N ouvrit les yeux. Le balayage d’une lumière-point les lui fit plisser : il mit sa main en visière. Jean posa gaillardement la sienne sur son épaule, et lui cria par-dessus le tumulte du lieu clos, banane en bouche :
« — Tada ! Alors, t’es déjà venu dans une boîte de strip-tease ?
— Non.
— Eh eh, qu’est-ce que t’en dis ? J’étais sûr que ça allait t’plaire ! C’est chouette, hein ? Hein ? »
N sourit poliment.
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