dimanche 20 septembre 2009

N (2004), chapitre vingt-huitième.


Chapitre vingt-huitième,
Où l’on digresse,
Revient,
Et parle babioles.


L’oreiller force la confidence, dit-on. Cela, ce semble à votre serviteur, ne vaut que pour ceux qui ne parlent vrai tout le long du jour. Le problème du mensonge et de la vérité en mots et effet est certes sujet à caution et dispute. L’on m’objectera peut-être que je suis sis au côté de quelque ancienne école. Je ne sais. Mais je peux dire ceci : l’on ment probablement bien plus souvent à ses amis qu’à ceux à qui l’on ne tient aucunement. Qu’on y réfléchisse et s’y arrête un instant. Remarquez que nous ne jugeons pas la chose. A ceux ou celles que nous ne craignons de blesser (la blessure la plus fréquente étant celle d’amour-propre, rarement justifiée), l’on peut parler vrai, sans retenue aucune, à mots découverts. Mais que l’on ait en face de soi quelque ami (ou amie : c’est pire encore), nous voilà confrontés à un impossible dilemme, par suite sommé et fondé, par et sur, deux questions auxquelles il faut pour soi répondre avec grande franchise et honnêteté. Voici : l’ami en question est-il suffisamment fort, objectif et aimant pour qu’il puisse entendre cette vérité (que l’on supposera relativement désagréable), sans la rejeter de mauvaise foi (cela va sans dire) comme infondée, et sans en porter grief ? en d’autres termes : estimons-nous la dite personne ? (Car l’on peut être en amitié et mésestime tout à la fois.) Le cas échéant, il n’est nul problème. Mais si la réponse à cette question est négative, se pose une seconde question, radicale, celle-là : Souhaitons-nous, oui ou non, maintenir cette personne dans notre cercle ou forteresse relationnelle ? Si non, dites le fond de votre pensée. Tant que vous y êtes, rajoutez-en : cela vous épargnera de fâcheuses retrouvailles et des moments inadéquats. Mais n’oubliez rien qui fût à vous, chez elle. Si la chose est babiole et perte acceptable, n’en ayez cure ; mais si elle vous est chère, choisissez un moment plus opportun. N’en rajoutez pas, non plus, si vous êtes de ceux qui prisez la crise, que vous trouvez rafraîchissante et salvatrice — sauf si vous aimez à verser dans le pathos. Cela dit, dans l’un ou l’autre cas, qui ne sont par ailleurs qu’un, vous avez tort, et n’avez point encore discerné la saine relation : la crise, qui est menace et chantage affectif, n’a jamais sauvé quiconque, ou rendu quelqu’un meilleur. Retournons à nos chèvres. Si, au contraire, vous tenez à cette personne — à moins que ce ne soit elle qui vous tienne, auquel cas je ne saurais vous dire qu’une chose : choisissez mieux vos amis — ; si doncques vous tenez à cette personne, et ne l’estimez par mal heur ou faute pas ou pas assez, modérez vos propos. Reste à savoir quel prix a pour vous le vrai, et s’il vous pèse plus de vous taire, ou de perdre un ami, ou deux (soyons fous). Du reste, cela aussi, si le cas échoit que vous êtes en fait brillant causeur, vous saurez toujours tordre vos propos à fin qu’ils ne blessent. Mais sachez que c’est également insulter l’intelligence de votre vis-à-vis, ce qui, je l’accorde, peut être fort jouissif. N’étant en ce qui nous concerne nullement à votre place, je vous invite à faire peu de cas de ces modestes conseils, et à n’en faire qu’à votre tête. Ce que vous ferez de toute façon, et ce jusqu’à ce qu’elle tombe. L’on fait si peu de cas de la parole en ces temps qu’illuminent de trompeuses lumières : il ne saurait en résulter que désastre, en fin.

Ces considérations toutefois nous mènent bien loin de notre propos. Permettez, je vous prie, qu’on y revienne.

L’oreiller force la confidence, dit-on. Le remarquable et le ridicule n’en ont cure. Il était tôt encore. Le soleil se levait. L’éveil plein n’existe qu’en ce point du jour, et l’on a raison de bénir l’aurore. N, les doigts entrelaçés derrière sa nuque, regardait le plafond lambrissé qui était là. La parfaite coupe du bois est en effet chose merveilleuse. La jeune fille, qui s’éveillait à peine, se retourna sur le flanc, coude en couche, paume à l’oreille : elle faisait face et front à son compagnon de somme. N tourna lors vers elle la tête. Il parla.

« — L’on ne me fera pas changer d’avis : la bouille matinale est la plus belle. Chaque fois que je vois de ces visages couleur de lune encore — et j’en ai vu bien peu pourtant — se trouve en moi confortée cette idée que, le fard est fait pour celer les laides, et a été inventé par elles pour ternir l’éclat des plus belles. En plus, ça fait une vilaine peau. Et des trous. A la longue. Non ?
— Je crois. (Elle rit.)
— Et puis (ironiquement lyrique), leur âme est-elle si vile et servile qu’elles éprouvent le besoin de se cacher derrière un masque ?
— Oh, les masques, on en a tous. Le vingtième siècle a assez écrit là-dessus. Et puis, vous caricaturez : on se maquille pour se faire belle, comme on dit, pour séduire et plaire.
— Il suffit de s’aimer un peu, pour plaire, non ? Et à quoi sert de ressembler à une poupée de foire, toute pareille aux autres ? Combien se plaignent de n’attirer que perdants ? A chaque appât sa prise : l’on n’attire jamais que ce que l’on veut, ou mérite. (Il s’échauffe.)
— Eh bien, vous n’aimez pas le maquillage, vous !
— C’est inutile. Et ça coûte cher, non ? Le corset n’existe plus ; les prisons du corps diminuent, disparaîssent — mais non : il vous en faut de nouvelles. Couches de peinture et de crèmes, et j’en passe. Toujours plus d’attaches pour nous saisir et attacher. Sans compter que c’est publicité mensongère et vol sur la marchandise. Sans compter, puisque vous vous plaignez sans cesse qu’on ne les lise (nous sommes barbares, voyez-vous), qu’on ne voit plus même vos signes de sous vos masques.
— Nos signes ?
— Ah non, ne minaudez pas !
— (Elle sourit.) Eh eh !
— Mais dites-moi quand même : pourquoi ne faites-vous qu’envoyer signes, au lieu de dire ce que vous voulez, ne voulez pas, avez en tête ?
— Bah, vous savez, cela dépend. Par là, entre autres, on se ménage des portes de sortie : à rien n’affirmer clairement, l’on peut dire en suite, selon les circonstances, que non, on a plutôt voulu dire telle ou telle chose…
— C’est pas de l’orgueil, ça ? De vouloir tout tenir dans sa main, tout maîtriser — sans vraiment savoir quoi d’ailleurs — alors qu’on ne maîtrise rien. Franchement, y en a marre. C’est très rare, et très agréable aussi, les femmes qui savent ce qu’elles veulent — ou pas, d’ailleurs —, et le disent. Et puis on en reparlera quand vous cesserez de vouloir régenter la couche et le monde, ou plutôt le monde par la couche.
— Ah la la, c’est impossible de parler, avec vous… Vous savez, peut-être que faire et dire simple, c’est juste s’exposer et ne savoir que l’on s’expose. Rien à cacher, donc rien à défendre, par ruse ou autre. (Taquine :) Pas de fard sur la paupière ?
— (Haussement d’épaules.) J’sais pas. C’est compliqué de faire simple, hein ? Un jour j’arrêterai de m’énerver pour un rien… Bon, on le boit ce café ?
— (Sourire.) Histoire de simplifier les choses ?
— Eh, ça…. »

Ils sautèrent du lit, nus comme des vers et sans anneaux, et laissèrent là l’oreiller. Car le matin, c’est aussi le réveil des ventres, qu’il faut bien combler d’une autre manière que la nuit.

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