mardi 1 décembre 2009

Textes courts : Credit

CRÉDIT.


C’est aujourd'hui la troisième nuit que je passe dehors.

Les autorités furent dépêchées à mon domicile au moment même où mon établissement bancaire, par de savantes projections et courbes infaillibles, a déterminé que je n’aurais été en mesure de régler la traite du mois prochain. Je fus explusé sans préavis, ainsi que le prévoient, je suppose, les textes actuellement en vigueur. Mes possessions furent dans l’instant saisies à fin de réduire les pertes et frais qu’eussent occasionnés mon incapacité future à payer ce qui eût été dû. Les agents chargés de l’affaire ont eu la clémence de me laisser les vêtements que je portais sur moi, avant de me jeter sur le pavé.

C’est pour moi une chance que nous soyons au printemps : j’ai ainsi quelque temps devant moi pour m’habituer à ma nouvelle condition avant que vienne l’hiver, lequel est réputé rude envers ceux de mon état.

J’ai passé ma première nuit sur un banc, dans un parc près de chez moi, durant laquelle j’ai attrapé un rhume, à cause de la rosée matinale habituelle à cette saison. Il faisait beau pourtant, et la nuit fut claire.

Après quelques heures d’active recherche, j’ai pu grâce à Dieu trouver une vieille couverture, laquelle fut probablement jetée aux ordures en raison des nombreux trous qui la parsemaient. Au moins aurai-je moins froid pendant la nuit prochaine, me suis-je lors dit.

J’ai en suite vaqué à la recherche d’un abri convenable, laquelle fut interrompue par une violente averse : je décidai d’arrêter mon choix au lieu où je me trouvais, et élus ainsi domicile sous le Pont Saint-Georges, à rive gauche. J’étais fatigué par la marche faite durant le jour, somnolais malgré moi, et eus tôt fait de m’endormir.

Je fus réveillé par une violente douleur à la tête. Un groupe de sans-abris, composé d’une demie-douzaine de personnes, m’entourait et me frappait avec des planches vermoulues. La piètre condition de leurs armes eût atténué les dommages causés par les coups, si celles-là n’avaient été garnies de clous.

Après un quart d’heure de maltraitements chaotiques, lequel me parut durer une éternité, ceux-ci cessèrent. On empoignit mes chevilles et me traîna sur trois ou cinq mètres environ. D’autres personnes, une seule peut-être, saisirent mes poignets. Je me sentis soulevé de terre : on me jeta dans le fleuve, non sans avoir ri beaucoup et juré.

Avec une peine infinie, je me hissai sur le premier quai que je pus atteindre, non sans mal, disais-je, car, mis à part le fait que j’étais blessé — je ne savais encore avec quelle gravité —, mes vêtement étaient gorgés d’eau et leur poids m’entraînait vers le bas. Il me vint alors à l’esprit le regret de n’avoir jamais été sportif. Passé le danger de noyade, je perdis rapidement conscience à même le quai.

Je me réveillai le lendemain, ce matin. J’étais glacé jusqu’aux os, si je puis dire, et grelottais. Mes vêtements étaient mouillés encore, mais je ne pouvais me permettre de me dévêtir : les passants, sans doute d’honorables citoyens sur le chemin de leur lieu de travail, me dévisageaient déjà, bien que je fus en contrebas.

Une faim tenace me meurtrissait l’estomac. Je tentai de me redresser à fin, pensai-je, de réunir une maigre pitance que je n’eusse manqué de trouver dans les poubelles des restaurant dont le voisinage était fourni. Toutefois, je ne réussis pas à me remettre sur pied : je réalisai l’étendue des blessures qui m’avaient été infligées la veille. Je n’étais pas en mesure d’inspecter mon visage, mais mes mains étaient couvertes d’ecchimoses violacées et de croûtes de sang séché.

Je décidai de passer cette nuit à l’endroit même où je passai la nuit dernière, à fin de récupérer quelque peu.

J’espère seulement que la douleur physique qui court dans chacun de mes membres bientôt s’atténuera, que je puisse dormir quelques heures.

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