dimanche 21 juin 2009

N (2004), chapitre quinzième.

Chapitre quinzième,
Où l’on entre en train,
Qui sort de gare,
Et dort.


Euh, y a pas foule. L’intérieur était aussi typique d’apparence que le reste et, il est vrai, assez dépeuplé. Un gros moustachu en costume gris dormait, le chapeau tombé sur les yeux. N suivait son compagnon de voyage dans l’allée. Ici, à main gauche, une vieille femme à épingles, les genoux serrés, regardait à travers lunettes et vitre. Là, à main droite, un trentenaire hirsute à moitié chauve tentait de lire un livre dont la couverture était muette. Mais le pauvre garçon était secoué de multiples tics. Eh ben bon courage.

« Ici, ce sera très bien. »

Dmitriu s’était arrêté, ponctuant sa phrase d’un coup de doigt sur la monture de ses lunettes, qui invariablement pourtant glissaient le long du nez. Tous des sisyphes. Il sourit, tout aussi invariablement à demi, et invita N à choisir et prendre place, ce que celui-ci fit, en fenêtre et sens de marche. Dmitriu prit la diagonale. (C’étaient des groupes de quatre sièges, deux à deux et face à face.) De fait, ils devenaient lors les seuls à partager ces manières de compartiments, les autres voyageurs allant selon la coutume, ô combien répandue, qui consiste à se tenir, autant que possible, le plus loin les uns des autres, et ainsi éviter tout rapprochement, proximité ou contact, et du même coup l’embarras qui semble généralement en résulter.

« — Eh bien ? demanda Dmitriu, qu’en pensez-vous ?
— Pas mal. Ça ne fait pas trop de bruit ? Apparemment pas. Mais, je ne sais si c’est d’avoir habité un temps le quartier latin en rez-de-chaussée, j’ai de plus en plus de mal à supporter le bruit. Et la foule.
— Que nenni, rassurez-vous ! fit l’autre, amusé.
— Tant mieux. Vous ne voudriez pas continuer votre histoire ? Nous avons le temps, je suppose.
— Quelle histoire ? fit l’autre, étonné.
— Ah, pardon. Vous savez quoi, je me suis pris pour quelqu’un d’autre. Désolé.
— Il ne faut pas, jeune homme : cela arrive à tout le monde — même à de gens bien ! (Il rit à sa plaisanterie.) Vous vouliez une histoire ? J’en sais quelques unes, vous savez.
— Bah, une autre fois peut-être. » Il prétexta une migraine.

La conversation était tombée, comme on dit, et aucun des deux ne semblait pressé de la ramasser. Après tout, c’est généralement un leurre que ce devoir de parole, prise ou à prendre, lors que se profile un silence. L’on n’est pas à la pêche. Et tout dépend dudit silence : c’est selon. Mais c’est également vrai qu’il est difficile parfois d’apprécier un silence — je veux dire : savoir ce qu’il est, quelle est sa nature, son retour —, car est lors requise une connaissance approximativement profonde de son non-interlocuteur (en l’occurrence) — ou une intuition du diable. Nous précisons, car, à fin d’apprécier, en son autre sens, ensemble le silence, il faut bien plus qu’une connaissance — une harmonie secrète ? S’installer dans le silence, et non laisser le silence prendre ses aises… Suffit. Rien de tout cela ici : il semblait indifférent. Mots ou pas, parfois : quelle différence ?

Sans saut ni crisse, le train se mit en branle. C’est parti. N regarda en son tour : personne ne semblait s’en émouvoir, et tous vaquaient à leurs respectives occupations. N laissa là les passagers et se tourna vers la fenêtre. Le train devait déjà se déplacer à vitesse folle : le paysage défilait et changeait à toute allure. TGV dépassé. Pas de bruit, pas de bond, pas de climatisation hasardeuse qui file crève sur crève. Vraiment pas mal.

« Ajoutez à cela que nous n’en avons que pour trois heures », commenta Dmitriu les yeux clos, qui s’était installé à son aise en faisant de sa veste un repose-tête.

N regarda un temps passer le paysage, qui devint tout à coup liquide, et fit comme son compagnon, qui devait préférer les bistrots pour enchaîner verres et mots. Pas même de môme qui hurle pour qu’on lui passe caprice…

N sortit du sac stylo et carnet. Rien ne venait que du blanc. Comme rien ne sert d’insister, il posa les pages à son côté, ôta ses lunettes et ferma les paupières. Du noir teinté d’ocre et de rouge, à l’intérieur. N s’endormit, sans s’en apercevoir, bercé par l’absence de roulis du train.

*

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