Chapitre trente-deuxième,
Où l’on pause
Dans un bar,
Et s’amuse.
Où l’on pause
Dans un bar,
Et s’amuse.
Toujours aussi animé…, fit-il au niveau de Saint-Denis. Toujours aussi bourgeoisé…, fit-il au niveau de Réaumur. Toujours aussi mal famé…, fit-il au niveau des Halles. Toujours aussi circulé…, fit-il au Châtelet. Toujours aussi vide et froid, fit-il en dépassant Cité — Et cette station de métro qui ne sert à rien… Toujours aussi touristé…, fit-il à la Fontaine.
N n’avait pas particulière envie de rentrer en suite. Il avait soif — le soleil assèche —, et décida de tenter sa chance en se dirigeant vers le pub le plus proche, dont les horaires étaient plus qu’obscures. L’essai réussit : c’était ouvert, et plutôt fourni pour un début d’après-midi. Quel jour on est ? Peut-être le week-end. Il entra, et commanda une pinte de cidre au bar. (Le système anglo-saxon a un avantage certain : en suite l’on ne dépend plus de tel ou tel serveur, acariâtre ou lunatique. Et vice-versa.) N s’en fut s’asseoir près de la vitre : l’étage n’ouvrait qu’au soir. Il vida ses poches des ustensiles habituels, posa par terre son sac, sur la table son verre et sous-bock, et ses fesses sur la banquette, dos au mur, face à l’ouest et vue sur salle.
N aimait ainsi à se poser quelques temps en quelque pub. Il est certe à Paris une mythologie forte — une institution presque : celle du café. Pourquoi n’y pas préférer un parc, ou, mieux encore, chez-l’un-chez-l’autre ? Ça… Non, il faut s’enfermer, s’enfumer, et boire, souvent mal assis. Sans compter (littéralement) qu’on y pratique généralement des prix dépassant l’entendement. C’est qu’il faut « payer le quartier », comme il se doit. Le chic est bien pauvre, à Paris, et l’on se contente de peu. Regardez Saint-Germain : noir de monde au soir approchant. L’on y accourt : c’est qu’on s’y plaît. Âmes perdues ? Probablement. Du reste, cherchez l’endroit agréable. J’attends toujours une bonne adresse, où l’on puisse s’entendre sans briser ses cordes vocales, ni mettre plus qu’à mal ses tympans . N préfère le tôt, ou tard, et ne se laissait prendre en lieu de vogue et heure de pointe que rarement, pour connaissances vues et revues, en ces places seules, de loin en loin. De cela beaucoup se satisfont : c’est avoir piètre idée des choses humaines. Mais bon, l’on a pour part la vie qu’on veut.
C’étaient plutôt des couples, en ces heures : pochtrons, rugbymen, expatriés, ne sortent qu’à la défaveur de la nuit, sauf jour de match. Couples en puissance, devenir ou fait, d’ailleurs. Etudiants, sorties de bureaux, habitués. Le regard de N vagabondait de table en table, entre deux gorgées et cigarettes.
Certains ménages étaient tout récents : tablées d’yeux perdus —pardon : noyés — pardon : absorbés, dans ceux d’en face. Les soupirs de bon heur ne sont plus au goût du jour : l’on se contente de sourire bêtement et de demander comment le boulot s’est passé.
À d’autres tables, soit en séduction, soit installés, les deux discutent ferme : ça pérore, argue et argumente, avec plus ou moins d’esprit, ponctué de surprise, dénégation ou intérêt, plus ou moins feints d’ailleurs.
À d’autres tables encore, c’est plutôt le silence qui règne, où percent la gêne et l’ennui : ils sont soit en bout de course, à bout de souffle, soit en guerre tacite : la femme reproche sûrement à l’homme quelque faute, le jeu étant pour lui de deviner laquelle, sans vendre mèche et prétexte à toutes les autres.
Aux tables restantes, cela discute, l’air de rien, presqu’entre amis. Mais l’on voit bien que quelque chose en sous-main se joue : on tâte terrain et poul. Là, ils se plaisent, c’est évident — sauf pour les intéressés. Ici, peine perdue : il aura beau dire tout ce qu’il veut, ce n’est ni un mâle protecteur, ni un père potentiel, et la jeune fille déjà évalue, fait son marché, parmi ceux de la salle. Elle fait même mine de sourire à N, qui se détourne, dégoûté : le manège de l’autre table est plus drôle.
Les signes succèdent aux signes, de part et d’autre ; l’on avance masqué, à petits pas, et à chaque un l’on soulève un pan de son voile. Mais voilà : comment s’entendre si l’on ne parle pas le même langage ? L’homme est déjà nu, et se dandine, ne sachant que faire d’autre ; la femme est nue sous ses sept voiles, et c’est déjà trop risquer pour elle. Quel dommage, en vérité, que l’homme ne voie le nu de sous les voiles ! Ce sera, une fois encore, à lui de se lancer, faire un geste, prendre une main, poser baiser, tout en ne sachant rien de ce qui se passe dans la tête vis-à-vis, qui pourtant cligne de l’œil, au milieu du sable. Le plus amusant, c’est qu’une fois le pas fait (si jamais), la fille sera d’accord avec elle-même pour dire qu’elle a de bout en bout (sans mauvais jeu de mots) mené la danse, et ce jusqu’au fond du lit. Elle ne changera pas, l’humaine comédie : et la vivre c’est jouer le jeu sans plus savoir les règles. Restent les tables célibataires qui, nous dit-on à tout-va, croissent en nombre, et préfèrent consommer rencontre en sept minutes. Les temps courent. Il faut savoir passer.
Ah, le cidre est déjà fini. Rentrons. J’espère avoir évité la cambriole.
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